« Retour vers le futur? » : un panneau pour le non au « Brexit » dans la banlieue de Newry, en Irlande du Nord, le 7 juin 2016. | PAUL FAITH / AFP

L’Irlande du Nord a de quoi se sentir laissée de côté dans le débat sur l’avenir du Royaume-Uni dans l’Europe. Même le mot « Brexit », contraction de « British » (Grande-Bretagne) et « exit » (sortie), exclut ces 14 000 km2 de territoire faisant pourtant partie du pays. Quant aux enquêtes d’opinion qui rythment le débat de l’autre côté de la mer d’Irlande, elles sont quasi inexistantes en Ulster, où seuls deux sondages ont été menés.

Le dernier, publié lundi 20 juin, prédit une avance du vote pro-européen (37 %, contre 26 % pour le « out »). Avec, toutefois, une nette ligne de fracture : la majorité des unionistes, protestants et fidèles à la couronne britannique, sont en faveur d’un « Brexit » ou sont encore indécis, tandis que les nationalistes catholiques se prononcent largement pour le « in ».

Difficile, devant ce constat, de ne pas repenser au conflit qui a opposé les deux communautés et ensanglanté la région pendant la seconde moitié du XXe siècle. Le camp du « in » craint d’ailleurs que des crispations ne refassent surface entre protestants et catholiques en cas de « Brexit ». « Absurde », balaie Lee Reynolds, le directeur de la campagne « Vote Leave » pour l’Irlande du Nord, qui ne croit pas qu’une sortie de l’UE signerait le retour des violences.

Rôle dans l’apaisement des tensions

Les protestants et les catholiques « ont eu beaucoup de raisons de s’entre-tuer, résume-t-il, l’Europe n’en a jamais été une ». « Quels que soient les résultats du référendum, l’Irlande du Nord ne reviendra pas aux troubles de son passé. Suggérer autre chose serait hautement irresponsable », a même considéré Theresa Villiers, secrétaire d’Etat chargée de l’Irlande du Nord dans le gouvernement Cameron, qui fait campagne pour le « out ».

L’UE a pourtant joué un rôle capital dans l’apaisement des tensions, en développant un programme spécifique, baptisé Peace. De 1995 à 2004, 1,3 milliard d’euros de subventions ont été donnés à des projets aidant à la réconciliation des communautés et au développement économique et social de la zone transfrontalière. Le quatrième volet de ce programme, pour 2014-2020, prévoit de distribuer 270 millions d’euros supplémentaires. L’économie de la zone repose encore grandement sur l’Europe. Dans cette région où l’agroalimentaire représente un emploi sur huit, 87 % des revenus agricoles provenaient en 2015 de la politique agricole commune.

Qui financera l’activité en cas de « Brexit » ? Le gouvernement britannique, répondent les défenseurs d’un vote « Leave », prédisant que l’agriculture bénéficiera de l’argent que Londres n’enverra plus à Bruxelles au titre de sa contribution au budget européen. Lee McGowan, maître de conférences en politiques européennes à la Queen’s University de Belfast, se montre plus circonspect : « Le gouvernement sera bien obligé d’établir des priorités pour le redéploiement de cet argent. Qui peut dire qu’il choisira de maintenir à un tel niveau le financement de l’agriculture ? »

« L’avenir de l’Irlande du Nord en danger »

Selon Rodney McCune, un des responsables de la campagne « Stronger In » dans la région, « 26 000 entreprises en Irlande du Nord dépendent du commerce avec l’UE » et 57 % des exportations de la nation vont vers d’autres Etats membres. « Si nous devions partir le 23 juin, cela mettrait l’avenir de l’Irlande du Nord en danger », s’est alarmé l’ancien premier ministre Tony Blair, qui a participé aux accords de paix de 1998. Le travailliste s’est rendu début juin à Belfast avec son prédécesseur, le conservateur John Major, pour défendre la place de l’Irlande du Nord en Europe.

Ce dernier a mis en garde sur les conséquences d’un « Brexit » sur l’unité du pays. « Renoncez à notre appartenance à l’Europe mais ne soyez pas surpris si, au final, nous renonçons accidentellement aussi à notre union », a-t-il lancé. Les mots n’ont pas été prononcés au hasard. Ils s’adressent précisément aux électeurs attachés à la notion de Royaume-Uni, divisés sur la question.

Eurosceptiques proclamés, les unionistes du DUP, le parti au pouvoir, se sont prononcés en faveur d’un « Brexit ». L’autre formation unioniste, l’UUP, a préféré faire coalition pour le « in » avec les catholiques du Sinn Fein, l’ancienne branche politique de l’IRA. Les anciens frères ennemis se sont rassemblés sur une analyse différente des effets d’un « Brexit » : les premiers craignent qu’il ne signe la fin du Royaume-Uni en poussant l’Ecosse vers l’indépendance, les seconds qu’il ne renforce la partition de l’Irlande.