« Le travail et la liberté », de Bruno Trentin (Editions sociales, 192 pages, 10 euros). | D.R.

C’est par un constat dérangeant que Bruno Trentin, ancien militant et dirigeant du mouvement communiste et syndicaliste en Italie, ouvre son livre, Le travail et la liberté : « l’extension de la démocratie hors du lieu de travail a marqué l’histoire et les conquêtes du mouvement ouvrier bien plus que la réduction substantielle de l’inégalité des pouvoirs entre les propriétaires et les détenteurs de l’autorité dans les entreprises et le travail subordonné ». Les systèmes de protection sociale d’Europe de l’Ouest sont en effet un moyen fondamental d’expression de la démocratie. Ils ont écarté les obstacles empêchant la pleine participation de tous les citoyens à la vie de la collectivité.

Mais malgré cette avancée démocratique, l’entreprise moderne « reste essentiellement fermée à toute forme de démocratie et d’espace de liberté ». Pour l’ancien député et secrétaire général de la Confédération générale italienne du travail dans les années 1990, la conquête d’importants droits pour les travailleurs n’affecte pas l’autorité dans l’entreprise dans des domaines essentiels comme le droit à l’information, le droit à la connaissance, ou encore le droit à une mobilité professionnelle ascendante.

Enjeu du conflit social

Publié en Italie en 2004, Le travail et la liberté vient de paraître en France, avec une introduction de Jack Ralite, ancien ministre communiste à la santé sous François Mitterrand puis animateur des Etats généraux de la culture. L’ouvrage est composé d’une dizaine de textes, repris d’interventions de Bruno Trentin dans la presse syndicale, politique ou scientifique, entre 1997 et 2004. Sauf le premier, « La liberté comme enjeu du conflit social », spécialement rédigé pour ce recueil, dont il pose les enjeux.

Nous avons connu trois révolutions industrielles, rappelle Bruno Trentin : la première à la fin du XIXe siècle, la deuxième avec la consolidation du modèle fordiste et taylorien, et la troisième avec le développement des technologies de l’information et des télécommunications dans un contexte de mondialisation des marchés et des capitaux.

A chaque fois, ces révolutions ont conduit « à une redistribution du pouvoir et de la liberté ». La première révolution a aggravé la coercition du travail salarié. La deuxième a consacré l’expropriation fordiste des savoir-faire de la majorité des travailleurs, « réduits au rôle d’exécutants aveugles des décisions du dirigeant ». La troisième tend, elle, à exclure les salariés du contrôle des connaissances sans cesse en évolution. Elle répand aussi « l’insécurité et la précarité de l’emploi à cause des restructurations et des délocalisations incessantes qui sont désormais devenues une physiologie et même un signe de vitalité affichée de l’entreprise moderne ».

Echecs de la gauche

Confrontée à ces trois révolutions, la révolte a échoué. Dans un premier temps, le mouvement socialiste et les syndicats se sont repliés sur des positions de résistance, pour réduire le nombre de licenciements.

Ensuite, ils ont tenté de compenser sur le plan social la perte de pouvoirs au sein de l’entreprise. En négligeant les transformations des entreprises, où sont apparues de nouvelles façons de concevoir le travail, la gauche s’est repliée « sur des positions subalternes vis-à-vis de l’idéologie néolibérale », ou alors sur un extrémisme entièrement verbeux, « comme en témoigne la triste fin de l’histoire des 35 heures en France ».

Autre grand échec de la gauche pour Bruno Trentin : ne pas avoir fait de la lutte pour l’union politique de l’Europe une bataille populaire, avec l’approbation d’une nouvelle Constitution qui aurait posé les bases d’une nouvelle politique sociale. Car le défi pour les années à venir est bien là. Il s’agit de garantir aux travailleurs de nouveaux droits en mesure de les protéger, notamment le droit à la formation tout au long de la vie, et d’avancer vers le plein-emploi.

Problème : la flexibilité et la mobilité du travail privent un grand nombre d’entreprises de tout intérêt à investir dans la formation de la plupart des salariés. « Le marché a dès lors le choix entre le recyclage onéreux d’une main-d’œuvre peu qualifiée ou son exclusion progressive, solution bien moins coûteuse ».

C’est alors à la collectivité d’assurer les services de base en faveur des salariés et des chômeurs, tout en impliquant les entreprises dans ce travail d’amélioration du facteur humain. « Sinon, nous verrons se développer une précarisation de vaste envergure, sans possibilité de récupération, ainsi que la formation d’un socle de plus en plus solide et prolongé de chômage de longue durée ».

« Le travail et la liberté », de Bruno Trentin (Editions sociales, 192 pages, 10 euros).