Camille Landais à la London School of Economics, Lincon in Field, à Londres. | Philipp Ebeling pour le monde

Le Prix du meilleur jeune économiste, décerné par Le Monde et Le Cercle des économistes, avec le soutien du Sénat, vise depuis sa création à distinguer non seulement l’excellence de la production académique des économistes français de moins de 40 ans mais aussi leur contribution au débat public en matière de politique économique ou de prise de décision parmi les acteurs privés, en débordant éventuellement vers d’autres sciences sociales.

On retrouve donc dans l’attribution de ce prix la mission du Cercle des économistes d’organiser et de promouvoir un débat économique ouvert et accessible à tous. Fondé en 1992 à l’initiative de Jean-Hervé Lorenzi, le Cercle réunit 30 membres, tous universitaires, qui ont exercé ou qui exercent des responsabilités privées ou publiques. Chacun de ses membres a des approches et des compétences différentes, garantissant ainsi une richesse des débats. Mais une conviction les rassemble : la nécessité d’offrir un espace de dialogue et de confrontation d’idées entre les économistes et avec la société.

Pour l’attribution du prix et des trois nominations, le jury a reçu cette année 45 candidatures, contre 41 l’an dernier, 34 en 2014 et 33 en 2013. Quinze d’entre eux se présentaient pour la première fois ; 36 occupent des postes de professeur ou de chercheur en France, 9 sont à l’étranger.

Les travaux des candidats donnent un aperçu des thématiques de recherche dominantes au sein de cette génération d’économistes. Parmi les lauréats, citons l’analyse des inégalités de revenus et de patrimoines, les effets de la fiscalité ou des modalités d’attribution des indemnités de chômage, l’efficacité des dispositifs de formation professionnelle et de reclassement des demandeurs d’emplois, l’impact de l’intégration financière internationale sur les cycles économiques et la diffusion des chocs de politique monétaire, le poids du vieillissement et de la longévité sur les niveaux de vie, les systèmes de retraite ou les politiques de santé publique…

Quelques « trous noirs »

Dans les programmes de recherche des autres candidats, plusieurs priorités se dégagent. Une place importante est accordée aux dimensions microéconomiques du marché du travail (appariements, discriminations, négociations salariales) ; l’intérêt pour les questions liées à la globalisation (instabilité monétaire ou financière, migrations, protections non tarifaires) ne se dément pas ; enfin, certaines démarches se situent aux frontières de la discipline, vers l’histoire, les sciences cognitives, voire la philosophie morale. Sous l’angle méthodologique, les réflexions théoriques et la modélisation sont complétées, plus souvent que par le passé, par des travaux appliqués de type économétrique.

Un prix crée par « Le Monde » et Le Cercle des économistes

Le Prix du meilleur jeune économiste, créé en 2000 par Le Monde et Le Cercle des économistes avec le soutien du Sénat, vise à valoriser les travaux d’un économiste français de moins de 40 ans. Pouvaient concourir tous les économistes issus du monde universitaire ou des grandes écoles, en France ou à l’étranger, dont les travaux relèvent de l’économie appliquée et qui permettent de promouvoir le débat public.

Les candidats devaient adresser au Cercle des économistes, outre un CV détaillé, les cinq publications les plus représentatives de leur production scientifique ainsi qu’une note de synthèse soulignant l’intérêt et l’originalité de leurs apports.

Sur cette base, les membres du Cercle des économistes ont établi une « short list » au sein de laquelle le jury final, présidé par André Cartapanis et associant les représentants du Cercle des économistes et Le Monde, ont attribué le prix et décerné les trois nominations.

On note cependant quelques « trous noirs » dans les préoccupations des candidats : peu d’entre eux s’intéressent à l’hypothèse de la « stagnation séculaire », liée à la forte baisse des gains de productivité ; les questions afférentes à la situation et à l’avenir de l’Union européenne et de la zone euro ne semblent pas non plus motiver les jeunes chercheurs ; le pilotage macroéconomique en situation de quasi-déflation et les conditions de sortie d’un surendettement massif, là encore, n’attirent pas leur attention.

A l’exception de certains – dont les lauréats –, les jeunes économistes français, s’ils participent de façon croissante aux débats publics, consacrent beaucoup plus de place dans leurs recherches aux fondamentaux de la discipline, à la spécification des comportements et des modes théoriques de coordination qu’à la définition des réponses ou des éclairages qu’attendent les responsables politiques ou les acteurs privés afin d’optimiser leurs choix.

Les lauréats de 2000 à 2015

Ont remporté le Prix du meilleur jeune économiste, depuis sa création:

Agnès Benassy-Quéré et Bruno Amable (2000) ; Pierre Cahuc (2001) ; Philippe Martin et Thomas Piketty (2002) ; Pierre-Cyrille Hautcœur (2003) ; David Martimort (2004) ; Esther Duflo et Elyès Jouini (2005) ; Thierry Mayer et Etienne Wasmer (2006) ; David Thesmar (2007) ; Pierre-Olivier Gourinchas (2008) ; Yann Algan et Thomas Philippon (2009) ; Emmanuel Saez (2010) ; Xavier Gabaix (2011) ; Hippolyte d’Albis (2012) ; Emmanuel…

En un mot, le clivage entre les savants et les experts au sein de la profession des économistes, s’il s’est beaucoup réduit, est loin de s’être dissipé. L’ambition du Cercle des économistes est de réduire cette distance, notamment à l’occasion des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, qui se tiendront du 1er au 3 juillet. La thématique de cette 16édition, « Dans un monde de turbulences, qu’attend-on d’un pays ? », recouvre la question bien actuelle de savoir pourquoi et comment on peut réformer la France.

À lire sur le sujet :

- Camille Landais : « Je me définis comme un économiste “public” », propos recueillis par Antoine Reverchon. Lauréat du Prix du meilleur jeune économiste 2016, Camille Landais a longtemps travaillé sur l’interaction entre la dynamique des inégalités et les politiques fiscales et sociales. Il s’intéresse aujourd’hui aux inégalités de genre.

- Grégory Ponthière : « Considérer la vie comme une ressource rare », propos recueillis par Antoine Reverchon. Nominé, 37 ans, le professeur à l’université Paris-Est Créteil et chercheur à l’Ecole d’économie de Paris mesure l’impact de la mort dans l’économie.

- Marc Ferracci : « La loi El Khomri aurait gagné à se baser sur des travaux d’évaluation », propos recueillis par Anne Rodier. Marc Ferracci, 38 ans, nominé au Prix du meilleur jeune économiste, est professeur à l’université Panthéon-Assas et conseiller scientifique au département travail-emploi de France Stratégie. Sa thèse porte sur la formation professionnelle des chômeurs.

- Nicolas Cœurdacier : « Les actifs sûrs sont dans les pays développés, l’épargne dans les pays émergents », propos recueillis par Antoine Reverchon. Nominé, 39 ans, pour le professeur d’économie à Sciences Po, si les capitaux vont des pays émergents vers les pays développés, c’est qu’il n’y a pas de marchés financiers suffisamment organisés dans les pays émergents.