Asghar Farhadi à Cannes, le 20 mai 2016. | STEPHAN VANFLETEREN POUR "LE MONDE"

Sélection officielle – en compétition

Entre deux films européens – Le Passé, présenté en 2013 à Cannes, a été tourné à Paris et son prochain long-métrage est situé en Espagne –, Asghar Farhadi, Oscar du film en langue étrangère pour Une séparation, est retourné à Téhéran pour y réaliser Le Client. Il y a retrouvé ces jeunes gens de la classe moyenne qui peuplaient A propos d’Elly et Une séparation pour les arracher une fois de plus à leur confort quotidien et les écraser sous les responsabilités, les confronter à des choix cornéliens.

Le Client a clos la compétition de cette 69e édition. Les lignes qui suivent ont été écrites avant l’annonce du palmarès. Comme on le constatera, je n’aurais pas parié sur la consécration obtenue par le film d’Asghar Farhadi à Cannes – deux prix, interprétation masculine et scénario. Reste que les discours de l’acteur Shahab Hosseini et du réalisateur, dédiant avec insistance leurs trophées au « peuple iranien », laissent penser que l’enjeu politique du film n’est pas mince. Il faudra suivre de près sa réception en Iran.

Aux yeux d’un spectateur cannois, Le Client ressemblait trop aux deux précédents films du réalisateur iranien pour surprendre. Emad (Shahab Hosseini) et Rana (Taraneh Alidoosti), sont jeunes et beaux. Ils travaillent dans le domaine de la culture et collaborent à une troupe de théâtre qui répète une adaptation (visée par la censure du ministère de la culture et de l’orientation islamique) de Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller. Il joue Willy Loman, l’homme défait par la compétition économique, elle est Linda, l’épouse impuissante à prévenir la destruction de son mari.

Shahab Hosseini et Taraneh Alidoosti dans le film iranien d’Asghar Farhadi, « Le Client » (« Forushande »). | HABIB MAJIDI/MEMENTO FILMS DISTRIBUTION

Charge symbolique

A propos de destruction, l’immeuble dans lequel vit le couple est évacué après que des fissures provoquées par des travaux voisins l’ont rendu inhabitable. Avec l’aide d’un camarade de théâtre, Emad et Rana trouvent un appartement dont une pièce est encore pleine des affaires de la précédente locataire, dont on apprendra qu’elle était « de mœurs dissolues ». Le titre du film tient à la position sociale du protagoniste autour duquel tourne la seconde moitié du film, vendeur de profession, client de la prostituée qui occupait l’appartement du jeune couple – en persan et en anglais, le film s’appelle « le vendeur ». Un soir que Rana est restée seule, elle est agressée alors qu’elle prend une douche. Elle refuse de porter l’affaire devant la police et la justice, son mari mène l’enquête afin de se faire juge et bourreau.

Tout est affaire d’ellipse, de contournement des contraintes, au point que le jeu avec la censure se confond avec le récit

Cet aperçu incomplet de la trame du Client donne une idée de la charge symbolique qu’elle doit supporter. De l’immeuble instable à la pièce pleine de souvenirs dont on voudrait se débarrasser, de la séquence de la douche à l’enquête solitaire, les éléments renvoient à la fois à l’état de la société iranienne telle qu’Asghar Farhadi la dépeint – hypocrite, faussement policée, violente en fait – et à la difficulté qu’il y a de le traduire en images de cinéma. On dirait bien que le réalisateur envie Alfred Hitchcock, qui, quand il voulait faire trembler pour une femme en danger, n’avait qu’à la filmer. Ici, tout est affaire d’ellipse, de contournement des contraintes, au point que le jeu avec la censure se confond avec le récit : ce bandage qui cache les cheveux de Rana, par exemple, est-il là pour échapper un instant au foulard qu’imposent à l’écran les règles du ministère de l’orientation islamique ou pour dire le trouble extrême, à la limite du dérèglement de la raison, dans lequel est jetée la jeune femme ?

Si le personnage féminin se fait plus complexe au fil des incidents qui émaillent le film, celui d’Emad au contraire s’enferme dans une simplicité vengeresse qui finit par le ravaler au rang de rouage. Car c’est bien d’une mécanique qu’il s’agit. Celles d’A propos d’Elly ou d’Une séparation étaient tout aussi complexes, mais mieux dissimulées. L’engrenage du Client finit par réduire l’humanité de ses personnages à la simple expression de leur position face à un choix moral.

Forushande (le client) : bande-annonce
Durée : 01:16

Film iranien d’Asghar Farhadi avec Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti (2 h 05). Sortie française le 2 novembre. Sur le Web : distribution.memento-films.com/film/infos/74