L’ancien ministre des affaires étrangères suédois, en marge d’une réunion du Conseil de l’Atlantique à Washington, le 8 juillet 2014. | SAUL LOEB / AFP

Ancien ministre des affaires étrangères suédois (2006-2014), Carl Bildt fut avec son homologue polonais de l’époque, Radoslaw Sikorski, le grand maître d’œuvre du « partenariat oriental » lancé par l’Union européenne vis-à-vis des pays issus de l’ex-URSS, et notamment de l’Ukraine. Ferme soutien des nouvelles autorités proeuropéennes de Kiev élues au printemps 2014 après le renversement du régime prorusse, il évoque pour Le Monde l’enlisement des accords de Minsk, signés en février 2015 sous le parrainage de Paris et de Berlin, pour une solution politique du conflit avec les rebelles séparatistes prorusses qui occupent une partie du Donbass, dans l’est de l’Ukraine.

Pourquoi le processus de Minsk est-il bloqué ?

Les rebelles séparatistes continuent à mener des attaques le long de la ligne de cessez-le-feu. Il y a eu sept morts le 24 mai, le bilan le plus lourd en une seule journée depuis le début de l’année. Malgré les accords, les deux corps d’armée occupant le Donbass continuent de se renforcer, notamment en équipement, avec le soutien de Moscou. On peut donc comprendre que les autorités ukrainiennes soient sceptiques sur la possibilité de tenir des élections libres et équitables dans les zones contrôlées par les rebelles.

La décentralisation du pays est un point clef des accords de Minsk. Le Kremlin accuse les autorités de Kiev de ne pas vouloir mettre en œuvre cette réforme. Toute la question est de savoir qui représentera cette région, de fait sous contrôle russe. Pour Moscou, elle doit l’être par les leaders séparatistes et ces derniers ne veulent pas que les partis politiques ukrainiens participent au scrutin ni que le quelque 1,5 million de personnes chassées de ces territoires puisse voter. Kiev rejette ces exigences, posant comme préalable à toute réforme constitutionnelle la tenue d’élections vraiment libres et équitables dans les zones occupées. Le gouvernement insiste aussi sur la nécessité d’un rétablissement de son contrôle sur la frontière orientale par où arrivent les aides aux séparatistes.

Où en sont les réformes ?

La sécurité est la première des conditions pour que le processus puisse aller de l’avant. Le traumatisme reste très fort dans la société ukrainienne. Ce conflit a fait quelque 10 000 morts, un nombre de victimes plus important que celui au Kosovo lors de l’intervention de l’OTAN au printemps 1999.

Mais malgré tout, hors des territoires occupés, c’est-à-dire dans 90 % du pays, les réformes avancent et même très vite, compte tenu de la situation. Deux ans c’est très court. Si l’on compare ce qui a été fait en Ukraine dans ce délai par rapport à d’autres pays de l’ex-Europe de l’Est après la chute du mur, le résultat est plus qu’honorable en termes de stabilisation de l’économie et même en matière de lutte contre la corruption. Elle est toujours là, mais elle est nettement plus faible qu’auparavant. Les autorités ont sérieusement commencé à s’en prendre aux conditions qui lui avaient permis de prospérer. Il y a surtout une réelle conscience dans la population, notamment parmi les plus jeunes, de l’importance de mener ces transformations. L’Ukraine a signé un traité d’association avec l’UE. C’est un premier pas dans la route vers l’Europe. Mais personne ne se fait d’illusion à Kiev, il faudra des années et des années pour que l’étape suivante soit franchie.

L’Europe doit-elle maintenir les sanctions contre la Russie ?

C’est essentiel tant que Moscou n’aura pas changé d’attitude. Leur levée est clairement conditionnée à la « pleine application » des accords de Minsk. Il n’y a aucun signe que cela puisse avoir lieu avant juin et la réunion du Conseil européen. Elles sont reconduites tous les six mois. Pour décembre, nous verrons ce qui se passe d’ici là. On ne peut certes pas exclure que la Russie ait commencé à réellement mettre en œuvre les accords, mais pour le moment il n’y a aucun signe en ce sens. La levée des sanctions si les conditions ne sont pas remplies priverait l’UE et les Etats-Unis d’un levier sur le Kremlin. En outre, une telle décision entraînerait une continuation du conflit avec l’alternance de phases de haute et de basse intensité.

Estimez-vous que la menace russe envers d’ex-Républiques soviétiques comme les pays baltes, membres de l’UE et de l’OTAN, est réelle ?

Je ne pense pas que la Russie représente aujourd’hui une menace aiguë pour les pays de l’OTAN, même dans la partie orientale de l’Alliance, mais l’expérience de ces dernières années nous montre que la Russie est assez imprévisible. Le seuil à partir duquel elle est prête à recourir à la force est très bas. Personne ne pensait, ni à Paris, ni à Stockholm, ni à Washington, qu’elle serait prête à se lancer dans des opérations militaires comme en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014 ou maintenant en Syrie.

La Russie sait profiter des occasions qui s’offrent à elle. D’où l’importance de mesures concrètes pour contenir cette imprévisibilité, comme le déploiement, dans un but de dissuasion, de forces conventionnelles de l’OTAN dans les pays de l’Alliance qui sont le plus proches [de la Russie]. Il n’y aura pas de fait accompli russe aux dépens d’un membre de l’OTAN si Moscou comprend que ce sera difficile et que le coût économique, politique et diplomatique en sera très élevé.