Réfugiés et étudiants à Nanterre le jeudi 28 janvier. | Eric Nunès

Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a organisé la 9e édition de son concours, en partenariat avec Le Monde, qui portait cette année sur le thème « Des nouveaux voisins : regards croisés sur l’accueil des réfugiés ». Il récompense un article écrit par un ou une étudiante en journalisme en fin d’études. Le jury a décerné le prix 2016 à Sophie Heriaud, étudiante à l’IUT de journalisme de Lannion (Côtes-d’Armor). Il a cependant souhaité également distinguer Constance Léon, étudiante au CELSA (Paris), dont voici l’article, consacré à des cours de Français langue étrangères organisés par des étudiants parisiens.

Attablés à un long bureau rectangulaire, six hommes jouent à un drôle de poker. Certains ont les bras croisés, d’autres appuient leurs têtes dans leur main. On entend les mouches voler. Un homme murmure quelques mots dans une langue étrangère, les yeux fixés sur des cartes orange, face cachée. En bout de table, Steffie Pakirdine, professeure stagiaire de Français langue étrangère (FLE) veille, le regard confiant. « Soixante-quinze », fait un homme, sourcils froncés, il cherche la carte formant la paire. En face de lui, un homme au brassard tricolore esquisse un sourire, il met un doigt devant sa bouche. Il en choisit une : raté.

Aide financière des universités

Les cours de français ont commencé depuis un mois, dans cette salle 311 de l’université Paris IV, porte de Clignancourt. Un quartier stratégique, celui de la porte de la Chapelle, où « les migrants se donnent rendez-vous depuis le Sahel », croit savoir André Rebelo, l’un des responsables et fondateur de l’association Infléchir de Paris IV. Devant la porte de la salle de cours, le jeune homme a l’air épuisé : « On monte le projet depuis septembre, il a fallu beaucoup de diplomatie pour convaincre l’administration, ils craignaient pour la sécurité ». Pour entrer dans l’université, les quatorze étudiants de FLE doivent montrer patte blanche, munis de leur attestation fournie par l’association.

Finalement, Barthélémy Jobert, le directeur de l’université Paris IV a concédé des salles aux étudiants, du lundi au jeudi pour deux heures. Surtout, Paris IV a débloqué une enveloppe de 10 000 euros, via le service interuniversitaire d’apprentissage des langues (SIAL) de la communauté d’universités, pour payer des professeurs stagiaires de FLE, comme Steffie Pakirdine. « Le projet est amené à se poursuivre, avec le budget qui va avec », précise Claire Stolz, la responsable du pôle FLE.

Mais l’administration de la faculté a fixé une condition : « Nos étudiants sont des demandeurs d’asile déjà placés dans les centres d’hébergement d’urgence », explique André Rebelo. Pour le jeune étudiant en philosophie politique : « Les élèves ne sont pas dans la nature en sortant des cours de FLE, on a un retour des associations, en cas d’absence ou même s’ils sont déboutés subitement ». Plus de 150 élèves sont inscrits sur la liste d’attente.

Des étudiants motivés et concentrés

Pour Franck Boezec, avocat spécialiste du droit des étrangers, inscrit au barreau de Nantes, ces critères de sélection sont représentatifs d’une « barrière invisible entre ceux qui sont bien pris en charge et les autres. C’est une démonstration de la réalité, la véritable prise en charge débute à partir du moment où le demandeur d’asile est hébergé en centre d’accueil ».

Dans le groupe avancé de la salle 311, le Bangladais Nazroul, 30 ans est déjà diplômé en administration publique, avec une majeure en finance. les cours vont lui servir à repasser une équivalence en France.

« Les étudiants sont motivés et concentrés, mais le groupe est hétérogène », raconte Steffie Pakirdine. Elle enseigne pour la première fois le Français à des demandeurs d’asile. Elle est elle-même encore étudiante en deuxième année de master, mais elle ponctue toutes ses phrases d’un « très bien » encourageant. « Nos étudiants sont bien entourés par les associations, ce qui ne nous empêche pas de les aider. Zabit vient de me donner un papier administratif à traduire », explique la jeune femme de 26 ans.

Zabit Stanikzai, un étudiant afghan raconte avec calme son exil de six longues années : « Je suis passé par la Turquie, la Serbie, la Bulgarie, l’Autriche, l’Italie et puis la France ». Les professeurs sont unanimes, leurs élèves progressent rapidement. « Ouvrir la porte d’un cours crée du lien et rompt l’ennui. Imaginez un demandeur qui attend une convocation pendant 1 à 12 mois, pour raconter son récit d’exil. C’est une manière de redynamiser ces parcours de vie chaotique », relate l’avocat Franck Boezec.

Travail des associations

Armando Cote, psychologue clinicien au centre Primo Levi, prend en charge des victimes de violences et de tortures politiques à Paris : « La langue maternelle est chargée de mauvais souvenirs. Apprendre une autre langue, c’est une manière de se décharger ».

Le projet naît dans les camps parisiens, celui de « Jean Quarré en particulier », précise André Rebelo, dont les parents sont arrivés du Portugal dans les années 70. M. Rebelo se souvient du lycée situé dans le XXe arrondissement de Paris, transformé en centre d’hébergement d’urgence en février 2016. En avril, les responsables d’associations de cours de langue de différentes associations parisiennes créent le collectif inter universitaire, le Réseau Etudes Supérieures et Orientation des Migrant.e.s et Exilé.e.s (RESOME), qui regroupe plusieurs associations de cours de français, comme celle de l’Ecole des Hautes Etudes de Sciences Sociales (EHESS) ou de l’Ecole Normale Supérieure (ENS).

David Stoleru, lui aussi, donnait des cours de français au lycée Jean-Quarré. Il est l’un des responsables de Migrens, l’association qui prodigue des cours de français FLE à l’ENS. Les « étudiants-invités » suivent des cours pour y préparer le diplôme d’études du français, encadrés par un étudiant et un professeur référent. L’administration a débloqué, dès la rentrée 2015, près de 6 000 euros pour mettre à disposition des salles et permettre aux étudiants de manger à la cantine.

Dans une petite salle de l’ENS, Zakaria, étudiant en lettres accueille ses deux étudiants, Shareef et Farouk. Tout à l’heure, il les a croisés dans la cour de « Normale Sup », près du bassin, il les a « checkés ». Zakaria n’a reçu aucune formation pour donner ces cours, il s’est juste dit « qu’il fallait filer un coup de main ». Aujourd’hui, ils se mettent tous les trois dans la peau du médecin. Il faut avoir l’esprit en escalier pour suivre Zakaria : il passe de la tension artérielle, aux veines, puis il évoque l’expression « avoir de la veine ». Shareef et Farouk écrivent la traduction des mots en arabe ou en anglais. Au détour d’un couloir de Paris IV, Zabit Stanikzai évoque son histoire à lui : « J’ai habité en Iran pendant quatre ans. J’ai été déporté deux fois en Afghanistan, la deuxième fois, ils m’ont dit si on te rattrape, tu finiras ta vie en prison ». En Afghanistan, il était professeur d’anglais. Cet été, il prendra des cours supplémentaires dans d’autres associations. Et rêve de devenir à son tour, un jour, professeur de français.

Constance Léon