Le Centre Pompidou souffrirait-il d’une fuite des cerveaux ? C’est la deuxième fois en trois ans que le musée français perd son conservateur en chef pour la photographie au profit d’un grand musée américain. Il faut croire que les « Frenchies » ont la cote aux Etats-Unis : après Quentin Bajac, son prédécesseur, parti prendre la tête des collections de photographie au prestigieux Musée d’art moderne (MoMA) de New York, c’est au tour de Clément Chéroux d’être recruté par le MoMA de San Francisco, ou SFMOMA. Un lieu qui a pris une nouvelle ampleur en mai, avec une extension qui en fait désormais le plus grand musée d’art moderne du monde.

« Ces deux nominations n’ont rien à voir », précise Clément Chéroux, qui souligne que les deux institutions sont indépendantes malgré leur nom commun. « Je suis très heureux au Centre Pompidou, où nous avions mis en place une bonne dynamique, mais cela fait dix ans que j’y suis. A San Francisco, j’ai été impressionné par le nouveau bâtiment du musée, qui a dévolu un étage entier à la photographie, avec un espace pour les collections et un autre pour les expositions temporaires. Il y a aussi un vrai dynamisme pour la photographie dans la ville, avec de grandes collections privées et de nouveaux espaces qui se sont créés récemment. »

Une collection de près de 18 000 œuvres

Au SFMOMa, Clément Chéroux, qui prendra son poste de conservateur en chef (senior curator) pour la photographie en janvier 2017, devra veiller sur une collection de près de 18 000 œuvres photographiques, et remplacera la conservatrice Sandra Phillips, qui prend sa retraite après 29 ans sur place. Celle-ci avait enrichi la collection commencée dès 1935 et tournée surtout vers les auteurs américains (Ansel Adams, Edward Weston), pour l’élargir à d’autres espaces géographiques, comme l’Afrique et l’Amérique du Sud. Une ouverture que Clément Chéroux se dit décidé à poursuivre.

A 46 ans, il a pour lui de nombreux atouts : il a dirigé, depuis le départ de son prédécesseur en 2013, la collection du Centre Pompidou, et ses 40 000 œuvres, riche particulièrement en photographies des avant-gardes des années 1920 et 1930. Il a, à ce titre, conçu plusieurs expositions remarquées, comme la rétrospective consacrée à Henri Cartier-Bresson (2014) ou une relecture du surréalisme (« La Subversion des images », 2009). Il a aussi été à l’origine de la création d’une galerie de photographie pour mettre en valeur au sein du musée les donations récentes, et a lancé un groupe des amis de la photographie au Centre Pompidou, pour favoriser et mettre en valeur les donations.

Intérêt pour les formes populaires de la photographie

Mais cet historien de la photographie, formé à l’Ecole nationale supérieure de la photographie d’Arles puis à l’Université de Paris I, où il a soutenu sa thèse, s’est aussi fait connaître pour son approche large et originale du sujet photographique et son intérêt pour les formes populaires de la photographie. Des pistes nouvelles qu’il a explorées dans plusieurs ouvrages et des expositions audacieuses, pas toujours au Centre Pompidou : ainsi ses recherches sur le tir photographique (« Shoot », 2010) ou les nouvelles formes d’appropriation liées à l’ère numérique (« From Here On », 2011) avaient ouvert de nouvelles perspectives aux Rencontres d’Arles.

L’acclimatation aux Etats-Unis ne devrait pas être difficile, Clément Chéroux ayant déjà passé un an à l’Université de Princeton en 2004 à l’occasion d’une bourse post-doctorat. Pour l’instant, il travaille sur une rétrospective majeure de l’Américain Walker Evans, programmée au Centre Pompidou au printemps 2017. Il était déjà prévu qu’elle soit montrée ensuite au SFMOMA en octobre de la même année : il sera donc aux premières loges pour superviser son accrochage.