Le ministre marocain des affaires étrangères et président de la COP22, Salaheddine Mezouar, lundi 16 mai, lors de l’ouverture de la session de Bonn. | PATRIK STOLLARZ / AFP

En séance plénière, en réunion de groupe ou pendant les pauses-café des délégués de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), réunis à Bonn, en Allemagne, jusqu’au jeudi 26 mai, la question revient comme un mantra. Quelle place accorder à l’adaptation, le deuxième versant de la lutte contre le réchauffement, souvent résumée à son autre objectif majeur, l’atténuation ?

L’atténuation fait référence aux mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, chantier prioritaire pour les pays industrialisés. Pour les Etats en développement, l’enjeu est surtout de s’adapter aux effets déjà dévastateurs de la hausse des températures (construction de digues pour contrer la montée des eaux, système d’alerte face aux événements météorologiques extrêmes, efforts de planification, etc.).

Sur la route de Marrakech

Mais, à la différence de moines bouddhistes, les délégués des 196 Etats membres de la CCNUCC – et non plus 195, la Palestine disposant d’une voix depuis mi-mars – ne se bornent pas à méditer paisiblement sur la question. L’adaptation est un sujet de confrontation intense entre pays développés et pays en développement, d’autant qu’il induit des besoins de financement massifs.

Si la session débutée le 16 mai a mis tant de temps à accoucher d’un agenda pour le nouveau groupe de travail sur l’accord de Paris, qui constitue la principale avancée de ces négociations de Bonn, c’est en grande partie parce que « les pays en développement, réunis au sein du G77 + Chine, ont poussé pour qu’une plus large place soit faite à l’adaptation, constate Armelle Le Comte, de l’ONG Oxfam. Les travaux de Bonn préparent la conférence de Marrakech en novembre [COP22], les pays du Sud tenaient à rappeler à quel point cette question est cruciale. »

« Le texte de Paris a fait le constat que l’adaptation était un sujet majeur, mais il n’a pas clarifié les choses, analyse Tosi Mpanu Mpanu, qui préside le groupe des pays les moins avancés (PMA). En intégrant cette problématique à l’agenda de Bonn, les pays développés envoient un signal positif. Ils donnent mandat au nouveau groupe de travail d’intégrer l’objectif d’adaptation dans les discussions techniques qui s’engagent. »

« Paris a changé la donne, assure la chef négociatrice française, Laurence Tubiana. Maintenant, il faut rentrer dans le concret, s’interroger sur les enjeux de l’adaptation dans le secteur de l’agriculture, dans le domaine des politiques de santé, etc. Ce n’est plus seulement un sujet de financement. »

Dans un rapport rendu public lundi 23 mai, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) rappelle que l’adaptation reste une équation financière difficile à résoudre. D’un côté, les coûts de l’adaptation au réchauffement devraient être 2 à 3 fois plus élevés à partir de 2030, et potentiellement 4 à 5 fois plus élevés à partir de 2050, que les montants globaux actuels. De l’ordre de 70 à 110 milliards de dollars (62,5 à 98 milliards d’euros) par an actuellement, les coûts d’adaptation des pays en développement devraient atteindre 140 à 300 milliards de dollars (125 à 268 milliards d’euros) par an après 2030, estiment les experts du PNUE.

Un « fossé financier » pour les pays en développement

Face à cette pression financière croissante, l’aide bilatérale et multilatérale en faveur de l’adaptation s’est élevée à 25 milliards de dollars (22,3 milliards d’euros) en 2014, pointe le document. Les pays les plus pauvres d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud, et les petits Etats insulaires figurent parmi les premiers bénéficiaires de cette aide. « Les pays en développement sont confrontés aujourd’hui à un fossé financier en matière d’adaptation », conclut Anne Olhoff, responsable de programme à l’université technique du Danemark, l’une des rédactrices de ce rapport.

Pour combler ce fossé, « une augmentation des sources publiques et privées de financement s’impose », ajoute la chercheuse danoise, rappelant deux engagements notifiés dans l’accord et les décisions de Paris : la mobilisation d’ici à 2020 de 100 milliards de dollars (89,3 milliards d’euros) par an par les pays du Nord au profit de ceux du Sud ; la recherche d’un équilibre dans le financement des mesures d’atténuation et d’adaptation.

Une étude menée par l’OCDE en 2015 (sur la période 2013-2014) indique que seuls 16 % des fonds internationaux pour le climat sont alloués annuellement à l’objectif d’adaptation. « Le financement de l’adaptation reste en suspens, considère Armelle Le Comte. C’est vrai aussi de la feuille de route vers les 100 milliards, pour laquelle l’adoption d’un objectif chiffré de 35 milliards est absolument nécessaire si l’on veut offrir de la visibilité aux Etats vulnérables. »

A ce déséquilibre patent s’ajoute un autre constat : la difficulté à mesurer, quantifier, comptabiliser, les actions relevant de l’adaptation des pays vulnérables aux conséquences du coup de chaud planétaire. « On parle d’un objectif qualitatif, dont l’évaluation est donc complexe, en dépit des indicateurs financiers qu’on lui associe, juge Valvanera Ulargui, la directrice générale du climat auprès du ministère de l’environnement espagnol. Cela n’aurait pas de sens de comparer les efforts des différents pays en matière d’adaptation comme on le fait par exemple au sein de l’Union européenne en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’adaptation ne se mesure pas en millions de tonnes de CO2 ! »

Initiatives marocaine et française

Sans attendre que les négociateurs de la CCNUCC parviennent à en préciser les contours, plusieurs programmes internationaux apportent déjà un soutien financier aux pays fragilisés, notamment le programme pilote pour la résilience climatique (1,2 milliard de dollars, 1 milliard d’euros) et le fonds pour les pays les moins avancés (1 milliard de dollars, 893,2 millions d’euros).

Le fonds vert pour le climat (10,2 milliards prévus pour la période 2015-2018, 9,1 milliards d’euros) a vocation lui aussi à participer au financement de l’adaptation, mais son implication reste pour le moment limitée. « Le fonds vert a pris l’engagement d’allouer 2,5 milliards cette année à l’adaptation, mais il en est encore loin. Les huit premiers projets qu’il a choisi de financer ne dépassent pas 168 millions de dollars au total », détaille Tosi Mpanu Mpanu, qui siège au conseil du fonds vert. 

A Bonn, la présidence montante de la COP22 a lancé, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, une initiative visant « à accroître le financement de l’adaptation en Afrique et à soutenir des programmes pilotes tels que la séquestration du carbone dans les sols ».

A Paris, l’Agence française de développement (AFD) a entériné le 19 mai une aide de 30 millions d’euros, pour 2016-2017, dont 15 millions engagés cette année. « Une quinzaine de pays vulnérables vont bénéficier de notre expertise pour les aider à consolider, suivre et mettre en œuvre leurs contributions nationales », précise Caroline Edant, de la division changement climatique de l’AFD.

Lorsque ces pays déclineront leur contribution climat en politiques publiques sectorielles, les plans d’actions iront prioritairement au secteur de l’adaptation, avance l’experte. Selon les calculs d’Oxfam, l’AFD a consacré 2,9 milliards d’euros au financement climatique en 2015 : les mesures d’adaptation n’ont représenté que 19 % de cette somme.