Manifestation contre le sexisme et les agressions sexuelles à Cologne, le 9 janvier. | Juergen Schwarz / AP

La thématique du harcèlement sexuel subi par les femmes est de plus en plus présente dans les médias et dans l’espace public ces dernières années. Non seulement les femmes osent en parler davantage, mais le gouvernement français a pris des mesures à ce sujet, notamment avec des plates-formes dédiées comme Stop harcèlement sexuel. De nombreux rapports sur le harcèlement sexuel dans les transports, au travail ou de façon générale, voient le jour, avec des résultats parlants, mais souvent différents.

En avril 2015 par exemple, un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), révélait que 100 % des utilisatrices de transports en commun avaient déjà été victimes au moins une fois de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles. Le résultat de 2016 est de 13 % inférieur à celui de 2015, ce qui ne signifie pourtant pas qu’il y ait eu une diminution du harcèlement dans les transports en commun. C’est la méthodologie de ces études qui diffère, donnant des résultats variés.

Différents panels de femmes interrogés

Pour son enquête, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) a interrogé 6 227 femmes, sans prendre en compte leur âge, leur lieu de résidence, leur catégorie socioprofessionnelle, ou... leurs habitudes de transport. « L’occasion d’avoir accès à un panel très large », explique Christiane Dupart, membre du Bureau national de la FNAUT, qui a piloté l’enquête.

Le questionnaire, lancé sur Internet, avait pour but de toucher le plus de femmes possible, mais a atteint en premier lieu les 18-25 ans, qui représentent 62 % des personnes interrogées pour l’étude (31 % les 26-40 ans, 5 % les 41-65 ans et 2 % pour les mineurs).

L’étude du HCEFH n’a, l’année dernière, interrogé que 600 femmes sur le harcèlement dans les transports en commun, au cours d’événements organisés en Ile-de-France. Dix fois moins que la FNAUT donc, mais dans des conditions plus intimes. Seulement, le panel se concentre, malgré lui, sur les Franciliens, ce qui réduit forcément la variété des réponses. « Quand on parle de transports, c’est sûr qu’il faut faire la différence entre le RER bondé et le bus de campagne où tout le monde se connaît », précise Christiane Dupart.

Enfin, l’enquête de 2015 sur « les violences faites aux femmes dans les transports collectifs terrestres » du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, ne s’attache qu’à l’avis de 60 femmes, mais sélectionnées assez précisément avec : trois catégories d’âge (moins de 30 ans, 30 à 49 ans, plus de 49 ans), trois catégories de CSP (inactifs, CSP −, CSP +), et deux sortes de résidences (Paris et la petite couronne, la grande couronne).

Les différences de résultats s’observent notamment sur les deux premières études, la troisième cherchant plus à faire une observation générale qu’un vrai compte rendu chiffré, ce qui explique le petit nombre de femmes interrogées, même s’il est représentatif. Les différences de résultats viennent tout simplement du fait que plus le panel est large, plus les chances de trouver des opinions différentes sont accrues.

Dans tous les cas, le but de ces études n’est pas de dire exactement ce qui est arrivé à chaque femme de France étant montée dans un bus, mais de donner « des chiffres éloquents, qui obligent à prendre en compte la réalité de la violence faite aux femmes dans les transports », explique Christiane Dupart.

La difficulté d’aborder le sujet des violences sexuelles

La façon d’interroger le panel est également très différente d’une enquête à une autre, et peut influencer les réponses données. L’enquête du ministère de l’écologie se faisait par téléphone et concernait d’abord la « mobilité dans les transports et non le sujet des violences faites aux femmes, de façon à ne pas orienter leurs discours dès le début de l’enquête ». Celle du HCEFH s’est faite sur format papier et avait pour but que « les violences soient explicites pour libérer la parole, plutôt que des euphémismes (par exemple : « préférer mains aux fesses ou frottements – qui sont des agressions sexuelles – à gestes déplacés) ». L’enquête de la FNAUT a, elle, été réalisée sur Internet avec les limites techniques que cela comporte : « le questionnaire a pu être rempli par une personne plusieurs fois, il a pu être complété par un homme », peut-on lire dans le compte rendu.

Sur un sujet aussi fort que le harcèlement sexuel, la façon dont les femmes sont abordées compte beaucoup. Par exemple, les femmes qui ont gardé de fortes séquelles de violences sexuelles auront peut-être du mal à en parler en face à face, mais pourront remplir le questionnaire en ligne, plus anonyme. Dans une enquête sur « Les violences sexuelles faites aux femmes au travail », réalisée par un groupe de chercheurs dans des entreprises de Seine-Saint-Denis en 2008, c’est l’entretien en face à face qui a été choisi. Sur 1 864 femmes sollicitées, seules 1 545 réponses ont pu être exploitées et 45 % des victimes n’ont pas souhaité désigner leurs agresseurs.

Des réponses sont aussi biaisées du fait que certaines femmes ignorent la définition du harcèlement sexuel. Dans son compte rendu, le HCEFH précise d’ailleurs avoir identifié le harcèlement sexuel chez les victimes qu’elles soient « conscientes ou non que cela relève de ce phénomène ». La loi du 6 août 2012 a pourtant permis de donner un peu plus la parole aux victimes de harcèlement sexuel et de punir certains comportements. Ainsi, le harceleur du métro, du boulot ou du coin de la rue risque aujourd’hui deux ans de prison et 30 000 euros d’amende s’il impose à quelqu’un, « de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

« Les chiffres disponibles restent trop peu nombreux »

Aujourd’hui, une enquête sur le harcèlement sexuel datant de 2000 fait encore office de base, c’est l’« Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France » (ENVEFF), réalisée par le service des droits des femmes et le secrétariat d’Etat aux droits des femmes. Ce travail a été fait par téléphone auprès d’un panel représentatif de 6 790 femmes âgées de 20 à 59 ans. C’est l’une des premières enquêtes à mettre en avant le harcèlement sexuel subi par les femmes et l’une des plus complètes à ce jour. Mais ces statistiques commencent à dater, notamment parce que les femmes d’aujourd’hui, plus conscientes du phénomène de harcèlement, hésiteraient moins à parler. Dans une enquête de 2007 réalisée par la ville de Saint-Denis concernant les comportements sexistes et les violences envers les jeunes filles, on peut lire : « La parole des jeunes femmes s’est libérée, et dans un même mouvement, leur seuil de tolérance face aux comportements sexistes s’est abaissé. En effet, dans environ 68 % des cas, les jeunes filles interrogées victimes de violences sexuelles en avaient déjà parlé autour d’elles. En 2000, c’était à l’inverse 68 % des femmes interrogées qui n’avaient jamais évoqué auparavant les agressions subies. »

Malgré cette libéralisation de la parole, « les chiffres disponibles restent trop peu nombreux pour pouvoir mener une analyse précise de l’ampleur du phénomène et de l’ensemble de ses répercussions », peut-on lire dans l’étude de 2015 du HCEFH.

Près de dix-sept ans après l’ENVEFF, l’enquête Virage (violences et rapports de genre) est en cours de réalisation. Elle entend actualiser et approfondir les résultats de l’enquête de 2000, en offrant un aperçu assez complet des multiples formes de violences contemporaines, en prenant en compte « les différences d’expérience et de trajectoire des femmes et des hommes ».