« On va où là ? » : un recueil de dessins de presse et une exposition à l’Institut français d’Abidjan retracent l’histoire mouvementée de la Côte d’Ivoire, des années 1990 jusqu’à la crise post-électorale de 2010-2011 qui avait fait 3 000 morts.

« Depuis le décès du premier président Félix Houphouët-Boigny en 1993 jusqu’aux événements de 2002 [coup d’Etat raté et partition du pays] puis la crise post-électorale, le pays a connu un tumulte des plus retentissants. Nous avons mis à contribution les dessinateurs pour donner leur regard qui se veut aussi un témoignage pour la mémoire collective », explique le maître d’œuvre de l’exposition et du livre en deux tomes, Olvis Dabley.

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Une façon de s’interroger sur l’avenir, « de dire quand on regarde tout ce qui se passe, de quoi sera fait demain. Finalement où est-ce qu’on va ? On va où là ? dans un jargon bien de chez nous », poursuit-il.

« Rire de nous-mêmes »

Les hommes politiques ivoiriens ou français, les rebelles, l’armée, la police, les femmes… Tout le monde en prend pour son grade et les visiteurs s’esclaffent parfois en découvrant des dessins qui rappellent pourtant certaines heures sombres de la Côte d’Ivoire.

Pour Olvis Dabley, l’humour est une caractéristique ivoirienne : « On rit de nous-mêmes, de ce qui nous fait mal. La caricature donne le pouvoir de se prononcer d’un air critique mais à la fois humoristique. »

Parmi les œuvres exposées, un dessin montre un homme visiblement d’origine burkinabée qui assure avoir été « naturalisé ivoirien et avoir suivi toutes les procédures légales ». Le militaire qui le contrôle répond férocement : « Et alors ? Quand on naît mouton, on meurt mouton. »

« Il y a des dessins qui font rire, on rit, mais on n’oublie pas. Ça retrace l’histoire, les moments de crise, il y a eu du sang », commente Eugénie Aya Yao, étudiante. « Ça rappelle des moments de peine mais, en même temps, on se dit que c’est déjà passé. »

Le président de l’assemblée nationale, Guillaume Soro, croqué par le dessinateur de presse ivoirien, Polman. | Le Monde Afrique

Dur de vivre du dessin

Inspectrice de l’éducation nationale en formation, Zariatou Konaté est sur la même longueur d’onde : « On peut maintenant rire puisqu’on est passé à autre chose. »

Le dessin a aussi des vertus citoyennes, souligne-t-elle : « Les dessinateurs font avancer la situation politique parce que, à travers les dessins, les gens voient ce qui se passe. Ça résume mieux qu’un article. »

« On dit souvent qu’un dessin vaut mieux que des mots, renchérit Edson, l’un des artistes exposés. C’est bien de penser à ces gens qui ne savent pas lire. »

Même si le travail des dessinateurs est loué par les visiteurs et même par les hommes politiques, exercer cet art est difficile.

« On le fait parce que c’est une passion. Je fais de l’illustration, des maquettes, des logos pour vivre », explique Edson.

Son aîné Mendozza, l’un des dessinateurs les plus célèbres du pays qui travaille notamment pour l’hebdomadaire Gbich ! (journal de dessins et de BD), travaille aussi à ONUCI FM, la radio mise en place par les Nations unies en Côte d’Ivoire lors de la crise pour informer les populations (souvent mal informées et victimes de rumeurs) et œuvrer à la réconciliation.

« Aujourd’hui, affirme-t-il, tout en réalisant pour un visiteur une caricature de l’ancien président Henri Konan Bédié, la plupart des dessinateurs doivent faire d’autres boulots que le dessin pour vivre. Vivre uniquement du dessin de presse est presque impossible. »