« Mais pourquoi veulent-ils me tuer ? » La voix du vieux rebelle crépite dans le téléphone portable à 20 dollars raccordé à des enceintes d’ordinateur. Retranché dans les montagnes de Gorongosa (centre), le chef de l’opposition mozambicaine, Afonso Dhlakama, a tenu à répondre directement aux journalistes réunis à Maputo, la capitale, mercredi 1er juin. Il a dénoncé une nouvelle offensive contre sa base destinée à l’assassiner et qui, selon lui, s’est terminée en « massacre » des forces gouvernementales.

« Encore une fois, le Frelimo [le parti au pouvoir] nous a attaqués vendredi dernier », a t-il débuté. L’armée aurait envoyé douze blindés d’infanterie et des troupes mixtes composées de mercenaires chinois, angolais, zimbabwéens et tanzaniens. « Le Frelimo n’a rien dit jusqu’à aujourd’hui car ils ont pris une raclée », a t-il poursuivi, mentionnant des dizaines de soldats morts et des désertions en masse.

Un destin « à la Savimbi »

Les autorités, elles, démentent être à l’initiative de l’attaque contre la Résistance nationale mozambicaine (Renamo), le principal parti d’opposition : « C’est toujours eux qui attaquent en premier. Ils visent les civils, les institutions, et les positions des forces armées. » Ces dernières se trouvent contraintes de répondre « pour rétablir l’ordre et protéger les populations », assure Inacio Dina, le porte-parole de la police.

Afonso Dhlakama reste persuadé que le gouvernement lui réserve un destin « à la Savimbi », du nom de l’opposant angolais assassiné en 2002. Après être ressortie indemne de deux attaques en septembre 2015 et de l’encerclement de sa résidence de Beira (centre) par la police le 7 octobre de la même année, la légende veut que le chef de la Renamo ait rejoint, à pied, sa montagne fétiche, à 200 km de là.

Afonso Dhlakama, chef de l’opposition mozambicaine, en octobre 2014, à Maputo. | GIANLUIGI GUERCIA/AFP

C’est là, à Gorongosa, au milieu de collines verdoyantes et d’apparence paisibles que se joue l’essentiel de l’intrigue politico-militaire qui agite le Mozambique depuis 2013. A un premier point de contrôle sur la route de brousse menant à Satunjira, le camp retranché de la Renamo, quelques jeunes soldats hilares cachés derrière des épis de maïs s’enquièrent des allers et venues, sans se préoccuper de la présence de journalistes. Plus loin, une dizaine de blindés, garés de manière désordonnée sur le bord du chemin. Les soldats, tous très jeunes, fument, s’occupent de leur linge. Aucun mercenaire chinois ou d’officiers angolais parmi eux.

« Quand ça tire, on part se cacher en forêt »

Dernier ensemble d’habitations avant d’arriver à la base d’Afonso Dhlakama, Vunduzi est en passe de devenir un village fantôme. Les témoignages des quelques habitants qui restent font froid dans le dos. « Ça va mal, nous souffrons beaucoup », lance une femme dont la maison a récemment été brûlée par l’armée. « Nous voulons que cette guerre se termine, car ici tout le monde a peur. »

Au-delà des affrontements, les habitants craignent les « escadrons de la mort » : des tireurs, dont l’existence remonte à la guerre de libération (1964-1974), arpentent la zone en pick-up blanc. Originellement destinés à purger le Frelimo des opposants au marxisme, ils ont repris du service ces derniers temps. « Il suffit d’avoir un frère qui soit de la Renamo, et que quelqu’un le sache pour être emmené et tué », explique Frederico Mudjeza, le chef du bourg.

A ses côtés, Siwageros Campira montre les impacts de balles sur sa cahute. « Quand ça tire, on plie tout et on part se cacher en forêt. Depuis 2013, tout a fermé », explique le commerçant. En face de lui, l’école est laissée à l’abandon. Dans une des salles de classe, le tableau noir garde la date du dernier cours, le 18 mars. Au marché, tous les étals ont fermé. Reste deux stands de vente de bananes, où des soldats, en garnison plus haut, viennent se rapprovisionner.

Dans les environs de Gorongosa, au Mozambique, le 27 mai 2016. | JOHN WESSELS/AFP

Prise entre deux feux, la population subit aussi les invectives de la Renamo, qui à son tour s’est mise à liquider les représentants du Frelimo ou quiconque faisant le jeu des autorités. Maîtrisant parfaitement l’art de la guérilla, les rebelles se fondent dans la population. A Vunduzi, ils sont invisibles. A moins que ce soit eux, ces deux vieux édentés, qui portent des manteaux en plein cagnard, pour dissimuler leurs armes ?

« Allons nous asseoir sous un manguier »

La vague d’enlèvements et d’assassinats semble avoir eu l’effet escompté sur Afonso Dhlakama. Mi-décembre 2015, le leader avait mis le feu aux poudres en annonçant qu’il prendrait le pouvoir dans six provinces du centre sur onze. Mercredi, il a montré des signes de recul. « Je vais faire ça légalement, en négociant. J’ai vu que nous aurions été pris pour des bellicistes. A l’étranger, on ne nous aurait pas compris, ils auraient dit que nous sommes noirs et que c’est pour cela que nous faisons la guerre. »

Lundi 23 mai, les deux parties ont repris des négociations, interrompues depuis août 2015, pour préparer une rencontre au sommet entre le président Filipe Nyusi et le chef de l’opposition. Une issue pourrait se dessiner, si le Frelimo concède à l’élection des gouverneurs des provinces et non plus à leur désignation par le président, comme c’est le cas à l’heure actuelle. « Si le problème est la Constitution, alors allons nous asseoir sous un manguier, ou n’importe où, et négocions », a précisé Afonso Dhlakama.

Reste pour cela qu’il descende de sa montagne. « Le problème de Dhlakama, c’est qu’il aime bien vivre là-haut, comme un chef traditionnel, à camper tous les soirs dans un lieu différent, entouré de tous ses gens et de toutes ses femmes, décrypte un ancien membre de la Renamo devenu un politique haut placé. Mais il est trop vieux pour continuer comme ça. »