Le compositeur Dany Synthé. | French Finesse

« Papa Wemba est venu me voir il y a quelques semaines. Il cherchait une nouvelle direction, il voulait que je l’emmène ailleurs. On a enregistré deux titres que je devais d’ailleurs lui renvoyer et puis… ils sont restés dans mon disque dur. Je ne sais pas ce qu’ils vont devenir maintenant qu’il est mort. » Assis face à la console du studio d’enregistrement qu’il occupe dans un sous-sol de Montreuil, à côté de Paris, Dany Synthé, 24 ans, marque un silence. « Ça fait quand même bizarre de me dire que j’ai composé ses deux derniers titres. »

L’année avait pourtant bien commencé – et pourrait bien se poursuivre en fanfare. Quelques jours après cette visite de feu le roi de la rumba congolaise, Dany grimpait sur la scène du Zénith, synthé-guitare en bandoulière et chapeau de sapeur sur le crâne. Compositeur du bien nommé « Sapé comme jamais », de Maître Gims, il raflait avec lui une Victoire de la musique dans la catégorie chanson de l’année. « Je pense à Wemba, je connaissais sa musique bien avant cette rencontre… Heureusement, j’ai d’autres choses pour m’occuper », souffle-t-il. Depuis sa Victoire, le gamin du quartier des Hautes-Noues, à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) croule sous les projets. Son studio a pris des airs d’île au trésor : on y croise désormais producteurs de cinéma et artistes de variété, musiciens de rock et chanteuses de r’n’b, superstars et inconnus, clochards et patrons. Tous se posent la même question : comment ce jeune homme, timide sous son bonnet de laine, est-il devenu une telle machine à tubes ?

« On est en famille »

Il est loin le temps où Daniel, à peine sorti de l’école de musique, pressait son père de le déclarer à la Sacem : « Ça me rapportait pas beaucoup d’argent, c’était des petits morceaux sur de petits albums de rap, mais j’étais mineur et ne pouvais pas le faire moi-même », sourit-il. Désormais à la tête de son label, O-Vnee Music, compositeur, musicien de scène et directeur artistique, Dany Synthé a tissé au fil du temps une étrange galaxie d’artistes et de stars que l’on retrouve désormais à tous les étages des classements.

Embauché comme clavier sur la tournée d’Orelsan il y a quelques années, il a embarqué à son tour le batteur Manu Dyens sur celle de Maître Gims, avant de se retrouver avec lui chez Disiz puis d’inviter en retour Gims sur la bande originale Camping 3, à laquelle il participe. « C’est un petit univers, des gens de confiance, dit-il. J’ai longtemps pensé que la musique était un milieu de bisounours : j’avais 16 ans et je jouais avec mes rappeurs préférés, c’était juste super. Mais je me suis pris des carottes, j’ai dû me professionnaliser et c’est auprès d’eux que je l’ai fait… Avec MHD, c’est pareil : on est en famille. »

Lors du concert de MHD au Printemps de Bourges, le 16 avril. | GUILLAUME SOUVANT / AFP

MHD est le dernier coup d’éclat de Dany : sensation rap du moment avec son afro-trap, un mix tapageur de musiques africaines et de rap américain. Le Parisien hâbleur et vantard a trouvé en Dany son exact contrepoint. « Dany a ce côté calme et posé derrière ses machines mais c’est parce qu’il est avant tout à l’écoute, dit de lui le rappeur. Il comprend instinctivement où je veux aller. C’est lié à son immense culture musicale. »

Bercé dans son enfance par les hits de Sinik ou Diams, par la folk et la musique africaine que son père, congolais, bastonne à la maison, Synthé connaît tout. « J’ai passé huit ans dans une école de musique. J’écoutais du rap mais mon prof me faisait jouer du rock et du jazz et, à l’occasion, adaptait un titre de rap pour que je puisse jouer Jay-Z au piano. Ça m’a beaucoup ouvert. »

Aussi méticuleux que discret, le compositeur disperse aujourd’hui derrière MHD ses mélodies redoutablement dépouillées et ses rythmiques remuantes, inspirées tour à tour du n’dombolo ou des musiques nigérianes, de P-Square à Davido – sans se départir d’une solide culture rap. Coup de maître : quoique spartiate, la formule retourne les baffles de la France entière et résonne désormais jusqu’en Afrique, où MHD est devenu un phénomène.

Aller au-delà du rap

Féru de mathématiques et plutôt solide à l’école, Dany se prépare depuis longtemps : « J’ai commencé à composer à 10 ans, mais la musique n’a jamais été un simple hobby. Je travaillais à l’école mais me disais qu’un jour, il faudrait faire un choix. » Il n’a pas longtemps hésité : enfant du numérique et des plug-in crackés, à l’adolescence il tombe de sa chaise en découvrant la production musicale sur ordinateur. « Avec un synthétiseur, c’était une galère sans nom pour enregistrer », se souvient-il.

Après avoir dispersé ses premières musiques chez les rappeurs du quartier, il s’inscrit à la Sacem et, via son éditeur Skread – producteur d’Orelsan –, embarque sur la tournée du rappeur caennais. « Ça devenait sérieux : j’étais compositeur et musicien de scène, je gagnais ma vie à 19 ans. » Le manager de Sexion d’Assaut, rencontré grâce à un ami commun, le présente au groupe et les sessions s’enchaînent avec Black M et Maître Gims.

La vie de Dany, elle, a en revanche peu changé : tout au plus le petit studio installé il y a encore peu de temps dans une piaule de l’appartement familial s’est-il étoffé et délocalisé à Montreuil, mais Dany vit toujours ici, auprès de sa famille. Artistiquement, en revanche, le spectre s’est élargi et le compositeur voit bien plus loin que les portes du quartier, bien plus loin que le rap lui-même : « Je ne fais pas de l’afro-trap ni de la variété, je fais de la musique et c’est ce que me permet cette Victoire : je suis submergé de travail mais je suis aussi valorisé, on m’écoute désormais. J’ai donc envie d’être encore plus audacieux, libre. Je veux aller au-delà du rap. »