Par Jean-Philippe Puig, gérant et directeur général de la SCA Avril

Ces dernières semaines, le biodiesel est à nouveau vilipendé pour des émissions de gaz à effet de serre qui seraient bien supérieures à celles des carburants fossiles auxquels il se substitue.

« Un remède pire que le mal. » Tel est le verdict atterrant d’une nouvelle étude européenne rendue publique en mars. L’impasse faite sur des éléments incontournables pour qui prétend évaluer sérieusement les performances environnementales des biocarburants, et l’opacité injustifiable des méthodologies employées pour modéliser les changements d’affectation des sols liés à leur production, n’ont pas empêché que l’étude ne soit abondamment relayée.

L’accusé biodiesel est donc condamné sans procès. Et l’opinion de faire siens d’improbables slogans anti-biodiesel qui ont plus que jamais le vent en poupe, portant un coup supplémentaire à une filière française déjà fortement affaiblie.

Les pétroliers exultent. On aurait voulu réduire à néant des décennies de recherche, d’innovation et de développement pour apporter une réponse française et européenne à l’inexorable épuisement des ressources fossiles de la planète que l’on ne s’y serait pas pris autrement. Peu importe le fondement scientifique de ces études que l’opinion traite comme s’il s’agissait de vulgaires baromètres politiques.

Amalgame dévastateur

Tous les biodiesels sont ainsi mis dans le même sac, sans la moindre nuance. Le biodiesel français produit pour le marché national à partir de matières premières locales et non délocalisables subit ainsi un amalgame dévastateur. Un délit de sale gueule qui l’assimile au biodiesel produit à partir de matières premières importées comme le palme ou le soja. Quitte à mettre un peu plus en péril une filière française qui a pourtant su construire un modèle exemplaire.

A-t-on oublié que le diester, innovation française, s’est développé pour le marché national sur des terres qui représentent, selon FranceAgriMer, moins de 2 % des surfaces agricoles de la France, à l’origine des terres en jachère liées à la mise en place de la politique agricole commune (PAC) de 1992 ? A-t-on oublié que l’essor des biocarburants a permis la reconquête de la souveraineté de notre pays en matière de protéines végétales pour l’alimentation animale, portée de 25 % dans les années 1980 à 55 % aujourd’hui ?

A-t-on oublié que le biodiesel, qui ne bénéficie d’aucun dispositif de défiscalisation, représente 20 000 emplois en France, qu’il contribue à hauteur de 2 milliards d’euros au PIB national et permet une économie d’importation de diesel et de tourteaux pour l’alimentation animale de l’ordre d’1,5 milliard d’euros, selon le cabinet PwC ?

Outre l’écho accordé dans l’opinion à une étude dont la rigueur scientifique est largement remise en cause, il est sidérant de constater que l’Europe est en passe de se baser sur des travaux dont elle reconnaît elle-même l’opacité pour définir sa politique en matière de biocarburants après 2020.

Questions embarrassantes

Alors qu’elle était un précurseur en la matière, l’Europe aurait-elle décidé de faire volte-face ? Entend-elle plaider en toute conscience pour plus de combustibles fossiles dans les transports routiers, quitte à favoriser les carburants non conventionnels tels que les pétroles de schiste, de sables bitumineux et de schiste bitumineux, dans un contexte où l’extraction de carburants fossiles conventionnels est de plus en plus difficile ?

Alors que l’Europe cède à la manipulation des chiffres, l’Agence de la qualité de l’air de Californie (CARB) a bâti un modèle dont la rigueur scientifique ne fait aucun débat. Ce modèle prend en compte l’ensemble du cycle de vie du biodiesel, de l’amont agricole à l’aval industriel, sans oublier les étapes de raffinage et de transport. Validé par des contre-expertises académiques et des comités scientifiques indépendants, il tient également compte de l’impact lié au changement d’affectation des sols, dans un souci de transparence irréprochable, qui contraste avec la démarche politicienne de l’Europe en matière d’énergies renouvelables.

Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le modèle californien aboutisse à des conclusions diamétralement opposées à celles du modèle européen : le biodiesel offre, selon le CARB, la meilleure efficacité carbone par rapport aux autres carburants liquides. Il permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au transport routier d’au moins 50 %, un chiffre pouvant atteindre 81 % si l’on compare l’efficacité carbone du biodiesel à celle des carburants fossiles qu’il remplace.

Voilà qui soulève bien des questions embarrassantes, qui auront au moins l’avantage de justifier l’incapacité honteuse de l’Europe à atteindre l’objectif qu’elle s’est fixé de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports à horizon 2020.