Paul Giacobbi, ex-président du conseil exécutif de Corse, à Ajaccio le 26 juillet 2012. | PASCAL POCHARD CASABIANCA / AFP

La justice durcit le ton contre celui qui incarnait, il y a peu, le pouvoir politique et économique en Corse jusqu’à sa chute inattendue, lors des élections territoriales de Corse, fin 2015, face aux nationalistes. Paul Giacobbi, député (apparenté radical de gauche) de Haute-Corse, est visé par une demande de levée d’immunité parlementaire dans une enquête ouverte pour « détournements de fonds publics ». Cette requête, actuellement entre les mains du garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, va être transmise au président de l’Assemblée nationale.

Cette demande est motivée par la nécessité de recourir à des moyens coercitifs pour faire progresser les investigations en cours. Un parlementaire ne peut faire l’objet de mesures contraignantes, garde à vue, contrôle judiciaire ou détention, que si son immunité est levée. En revanche, la seule notification d’une mise en examen à un député ou à un sénateur, comme ce fut déjà le cas pour M. Giacobbi, le 21 juillet 2015, dans une affaire de financement de gîtes ruraux en Haute-Corse, pour des faits de « complicité de détournement de fonds », n’impose pas cette levée.

100 000 euros de préjudice

Cette fois-ci, la justice bastiaise, à l’origine de la demande, estime disposer de suffisamment d’éléments pour interroger M. Giacobbi sur son rôle, alors qu’il présidait le conseil exécutif de Corse, dans l’attribution d’emplois fictifs et dans la mise à disposition indue de véhicules de la collectivité territoriale de Corse (CTC). Les soupçons portent notamment sur les avantages accordés, de 2012 à 2014, par la CTC à Stéphane Domarchi, l’un des deux fils de Dominique Domarchi, ex-maire de Sant’Andréa-di-Cotone (Haute-Corse), assassiné en mars 2011, qui fut le bras droit et proche conseiller de M. Giacobbi tout au long de sa carrière politique insulaire.

Stéphane Domarchi aurait non seulement bénéficié pendant cette période d’un salaire et d’un véhicule sans avoir de fonction au sein de la CTC, mais deux autres véhicules de la collectivité auraient également été mis à la disposition de sa femme et de son frère, Jean-Marc Domarchi. Les frais d’essence étaient également assumés par la CTC. Les enquêteurs ont estimé le préjudice subi à près de 100 000 euros. Il reste néanmoins à savoir si M. Giacobbi avait connaissance de ces pratiques.

Le même Stéphane Domarchi a été mis en examen, le 21 mai, pour le recel de ce détournement de fonds publics non seulement au sein de la CTC mais aussi au sein du conseil général de Haute-Corse, où il a perçu un autre salaire de 2014 à 2016 pour un emploi qu’il n’exerçait pas non plus. Le département de Haute-Corse a été le fief de M. Giacobbi. Il l’a présidée de 1998 à 2010 avant d’être élu à la CTC. Celui qui lui a succédé jusqu’en juin 2014, Joseph Castelli, actuel sénateur (PRG) de Haute-Corse, a été mis en examen, le 28 janvier, pour blanchiment de fraude fiscale, recel d’abus de biens sociaux et corruption passive.

L’ensemble de ces faits sont apparus incidemment dans l’enquête sur l’assassinat, le 23 mars 2014, du directeur général des services du Conseil général de Haute-Corse, Jean Leccia. Des écoutes téléphoniques de la femme de Stéphane Domarchi ont, en effet, mené la justice sur la piste de ces affaires qui menacent M. Giacobbi.

Un autre pilier du système Giacobbi en Haute-Corse, l’élu local Jean-Hyacinthe Vinciguerra, a également été mis en examen, le 21 mai, pour un emploi fictif au sein du département de Haute-Corse. Dans la foulée, la justice a poursuivi ceux qu’elle considère comme les donneurs d’ordre de ces avantages indus : Marie-Hélène Djivas, directrice générale des services du département, et Jean-François Leoni, directeur des interventions sociales et sanitaires.

En guise de réponse aux menaces judiciaires qui pesaient déjà sur lui, M. Giacobbi avait déclaré, le 25 juin 2015, devant l’Assemblée de Corse : « Depuis cinq ans, je me suis efforcé de remettre de l’ordre sur un certain nombre de sujets, je sais que cela gêne (…). Il n’y a pas de système (…), le travail, je sais que c’est difficile à comprendre pour ceux qui ne fichent rien, le respect, c’est difficile à comprendre pour ceux qui ne respectent rien. »