Dix millions de tonnes de nourriture sont jetées chaque année en France. Soit l’équivalent de 16 milliards d’euros et de 15,3 millions de tonnes de CO2. Ce sont les chiffres d’une étude, inédite par son ampleur, publiée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), jeudi 26 mai. L’organisme, qui lance une vaste campagne de communication et de sensibilisation « Ça suffit le gâchis », confirme que le gaspillage alimentaire est bel et bien une aberration, tant éthique qu’économique et écologique.

Les 15,3 millions de tonnes de dioxyde de carbone représentent en effet 3 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre de la France. Ou encore cinq fois les émissions du trafic aérien intérieur et un tiers de celles émises par le parc de voitures individuelles.

29 kg de nourriture jetés chaque année par habitant

L’étude, dont la publication intervient trois mois après le vote par le Parlement d’une série de mesure de lutte contre le gaspillage alimentaire, mesure les pertes et les gaspillages générés sur plus de 80 % des produits consommés en France, globalement et à chaque étape de la chaîne alimentaire. 29 kg de nourriture sont jetés chaque année par habitant, et 155 kg par personne sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. La valeur de l’alimentation ainsi perdue représente quelque 240 euros par an et par personne.

Illustration issue de l'une des affichettes de la campagne de l'Ademe contre le gaspillage alimentaire. | Ademe

Contrairement à une idée largement répandue, l’ensemble du gaspillage et des pertes ne sont pas concentrés sur la phase de consommation. Producteurs, transformateurs, distributeurs, restaurateurs, ménages, tous les acteurs sont concernés. Sur les 10 millions de tonnes perdues et gaspillées par an, 33 % le sont lors de la consommation, 32 % de la production, 21 % de la transformation et 14 % de la distribution. En revanche, en termes de valeur économique, plus de 40 % du gâchis correspond à l’étape de la consommation.

« Pour chacun des acteurs, la part des pertes représente un poids relativement faible, entre 3,3 % et 7,3 % des tonnages gérés. Ce qui rend peu visible le gâchis et ne favorise pas la prise de conscience, relève Antoine Vernier, chargé de mission Gaspillage alimentaire à l’Ademe qui a piloté cette étude. Mais pour certains acteurs économiques, ces pertes peuvent être, en valeur, du même ordre de grandeur que leur marge brute. Et mis bout à bout, sur toute la chaîne alimentaire, cela finit par faire des volumes importants. »

Normes sociales et hygiénistes

Le gaspillage s’explique en grande partie par la prééminence de normes sociales et hygiénistes (ne pas utiliser les restes pour éviter une intoxication, servir à des convives un repas suffisamment généreux, pour le distributeur avoir une offre abondante…). « N’aide pas non plus à la prise de conscience, la dégradation de la valeur économique de l’alimentation. Celle-ci représentait 30 % du budget d’un ménage dans les années 60 et ne pèse plus que 20 % », observe l’expert de l’Ademe.

Ces « contraintes » pèsent chez soi mais encore plus à l’extérieur. Ainsi si les pertes s’élèvent à 29 kg par personne et par an à domicile, elles grimpent à 50 kg si l’on tient compte des repas pris en restauration collective etou au restaurant. Alors qu’on ne prend qu’un repas sur six hors de chez soi, on gaspille quatre fois plus en restauration collective et commerciale, car on a moins de choix : on ne décide pas de la quantité, on perçoit moins la valeur de l’alimentation, et on ne peut encore que rarement conserver les restes.

L’Ademe, qui a suivi une vingtaine de foyers témoins durant trois semaines, observe que ces blocages culturels peuvent être surmontés par des actions relativement simples : meilleure connaissance des techniques de conservation et compréhension des dates de péremption, sensibilisation à la qualité intrinsèque des produits plutôt qu’à leur aspect… Les ménages témoins suivis par l’Agence ont ainsi réduit de moitié leurs pertes et gaspillages et économisé près de 60 euros par an et par personne. « Il se produit un effet vertueux car en réduisant leurs pertes et gaspillages, les personnes reprennent conscience de la valeur de l’alimentation. Et davantage respectée, celle-ci est moins jetée », observe Antoine Vernier

« Chacun des acteurs peut, à son niveau, obtenir des résultats rapides. Mais c’est l’ensemble de la chaîne alimentaire qui doit être structurellement modifiée si l’on veut significativement réduire le gaspillage, insiste celui-ci. A l’échelle d’un territoire, il est important d’avoir un dialogue entre les différents acteurs pour faire évoluer la chaîne alimentaire, et éviter que les comportements des uns ne conduisent pas aux pertes des autres, ou n’augmentent pas d’autres impacts comme les déchets d’emballages ou la consommation d’énergie. »

En réduisant de 80 % ses pertes et gaspillages, Mouans - Surtout, ville des Alpes-Maritimes de 11 000 habitants, a ainsi pu passer ses cantines scolaires au bio, à coût constant. Et ce faisant favoriser la conversion des agriculteurs locaux au bio. Les parents, quant à eux, non indifférents à ce qui se passe à l’école de leur enfant, sont amenés eux-mêmes à changer leurs habitudes.