Au Salon de l’emploi à Pittsburgh (Pennsylvanie), lundi 30 mars. | Keith Srakocic / AP

Est-ce le début de la fin du cycle de reprise aux Etats-Unis ? En tout cas, le fait que l’économie américaine n’ait créé que 38 000 emplois en mai a jeté un froid sur la solidité de la croissance. Pour retrouver un chiffre aussi faible, il faut remonter à septembre 2010. Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, le département du travail a également annoncé, vendredi 3 juin, avoir drastiquement révisé à la baisse les statistiques de mars et d’avril avec respectivement 186 000 et 123 000 créations. La chute est impressionnante par rapport à la moyenne observée en 2015 qui avait été de 219 000 créations par mois.

Donald Trump, le candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle, jamais avare de catastrophisme, a qualifié ces chiffres de l’emploi de « bombe ». Sans aller jusque-là, force est de constater qu’ils ont pris à contre-pied tous les économistes qui tablaient en moyenne sur 160 000 créations d’emplois.

Bérézina

La seule bonne nouvelle dans ces statistiques est, elle-même, en trompe-l’œil. Si le taux de chômage est en effet tombé à 4,7 %, c’est avant tout pour de mauvaises raisons. Il n’y a pas nécessairement moins d’Américains à la recherche d’un emploi. La baisse s’explique essentiellement par la quantité de gens qui, par découragement, sortent des statistiques. C’est ce que montre clairement l’évolution du taux de participation. La proportion d’Américains qui ont un travail ou qui en recherchent effectivement un, chute à 62,6 % contre 63 % en mars, soit 458 000 personnes. C’est le plus mauvais chiffre depuis le début de l’année et un niveau proche de celui de la fin des années 1970.

Autre paramètre inquiétant : le nombre de personnes qui travaillent à temps partiel, alors qu’elles souhaiteraient occuper un poste à plein-temps a fait un bond spectaculaire passant de 6 millions en avril à 6,4 millions en mai.

Sur le plan sectoriel, mis à part le domaine de la santé qui a recruté 46 000 personnes en mai, c’est la bérézina. Le secteur de l’extraction minière est toujours sur la même tendance récessive avec 11 000 destructions d’emplois. L’industrie en a perdu 18 000, les services aux entreprises 10 000, les entreprises de construction 15 000 et le secteur des télécommunications et de l’information 34 000.

A propos de ce dernier secteur, certains expliquent que la grève chez l’opérateur de télécoms Verizon a pu jouer un rôle dans la chute des créations d’emplois. Une interprétation qui est relativisée par Andrew Zatlin, analyste chez SouthBay Research : « La dernière fois que Verizon a affronté une telle grève, en août 2011, cela avait eu un faible impact sur les créations d’emplois », ajoutant que les 35 000 grévistes, qui n’ont plus été comptabilisés dans les statistiques du département du travail, sont globalement compensés par le recrutement d’intérimaires pour les remplacer. Or, le secteur de l’intérim a lui aussi souffert en mai avec la perte de 21 000 postes.

Une hausse des salaires meilleure que prévue

De son côté, Paul Ashworth, de Capital Economics, qui était l’un des plus pessimistes dans ses prévisions pour le mois de mai avec 120 000 créations d’emplois, invoque également des arrêts de production de composants dus au tremblement de terre au Japon, qui a des répercussions sur le secteur automobile américain.

Seule petite éclaircie dans cet océan de mauvaises nouvelles : la hausse des salaires, meilleure que prévu. Mais avec une progression de 0,2 % en mai et de 2,5 % sur un an, il n’y a pas de quoi parler d’emballement, qui pourrait avoir des effets inflationnistes spectaculaires.

Ceux qui espéraient assister à une remontée des taux d’intérêt dès la prochaine réunion de la Fed, le 15 juin, en sont sans doute pour leur frais.

« Après ce rapport sur l’emploi décevant, une deuxième hausse des taux [après celle de décembre 2015] semble impossible », affirme Christophe Barraud, économiste chez Market Securities.

L’économie américaine a fait quasiment du surplace au premier trimestre avec une croissance de seulement 0,2 % (0,8 % en rythme annuel), et ces chiffres de l’emploi montrent que le rebond au deuxième trimestre ne s’annonce pas aussi spectaculaire que certains l’avaient anticipé. Le ralentissement de la progression de l’activité dans les services confirme la fragilité du contexte.

Une décision de la Fed est d’autant moins attendue que son Comité de politique monétaire se réunit une semaine avant le vote sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le « Brexit ». Un scrutin qui pourrait déboucher sur une forte instabilité sur les marchés financiers en cas de victoire du non. Le feuilleton de la hausse des taux n’est donc pas près de trouver son épilogue.