« Je suis de tout cœur avec vous. Et allez les Bleus ! » Lundi 30 mai, alors que l’équipe de France de football doit rencontrer en soirée la sélection camerounaise pour son premier match préparatoire à l’Euro, Didier Deschamps prodigue ses ultimes encouragements, non à ses joueurs, mais à quelque 80 adolescents qui exultent dans l’amphithéâtre de l’Institut national du football de Clairefontaine, le QG des Bleus. Les élèves des deux terminales du lycée de Limoges et de la 4C du collège Gabriel-Péri d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) lauréats du concours national Mon Euro 2016 savourent leur trophée : un séjour de deux jours au mythique centre d’entraînement des Bleus, dans les Yvelines.

Ils ont découvert le parc à midi, les allées bordées delauriers mauves, les arbres séculaires, les terrains, le château. Puis leur chambre, à deux lits pas plus, et « du gel douche dans la salle de bains ». Fatouata, 14 ans, n’en revient pas. « C’est top, c’est super, magnifique ! » Maël Morice, 35 ans, professeur d’éducation physique et sportive (EPS) depuis 2003 au collège d’Aubervilliers, n’y était jamais venu. Pas plus que ses cinq collègues, qui accompagnent avec lui les jeunes gagnants de Seine-Saint-Denis. Six adultes pour 21 enfants… « Tout le monde s’est déplacé parce que c’est l’aboutissement d’un projet collectif », s’excuse presque Julien Duguet, professeur d’EPS depuis quatre ans dans ce « gros collège » de 800 élèves, classé en réseau d’éducation prioritaire (REP).

Mon Euro 2016 - Collège Gabriel Péri - Aubervilliers - Académie de Créteil - Classe de 4eC
Durée : 03:01

Les enseignants étaient encore en primaire lorsque l’idée de ce type de rencontres a germé dans l’esprit des membres de l’UNSS, l’Union nationale du sport scolaire, en 1998. Le 12 juillet, la victoire des Bleus au Mondial entre dans l’Histoire et tout le monde se prend à rêver d’une France « black-blanc-beur ». Karim Benzema n’a pas encore accusé son entraîneur d’avoir « cédé à une partie raciste de la France » (des propos jugés « scandaleux » par Julien Duguet et ses collègues).

Cette année-là, les terrains de foot de la Seine-Saint-Denis sont le théâtre de scènes de violence, des arbitres sont agressés et le championnat est même un temps suspendu. Une poignée de profs d’EPS du 93 ont alors l’idée de lancer un tournoi de foot inter­établissements qui a pour thème « la violence, c’est 0-0 ». En 2016, Gabriel-Péri perpétue ce tournoi au sein de l’établissement. Un projet qui vaudra peut-être de nouveaux ­lauriers, en juin, au collège dans le cadre du Défi collégiens organisé par l’Agence pour l’éducation par le sport.

« Il y a une grosse culture foot à Aubervilliers », rappelle Maël Morice, d’où l’idée d’utiliser ce sport, et ses règles, comme approche d’autres règles.

Mise en place il y a trois ans conjointement par l’UNSS, l’éducation nationale et la Fédération, l’opération Mon Euro 2016 a aussi donné un nouvel élan au tournoi. « Il y a une grosse culture foot à Aubervilliers », rappelle Maël Morice, d’où l’idée d’utiliser ce sport, et ses règles, comme approche d’autres règles, à respecter en dehors du terrain et en premier lieu en classe. Trois cents élèves sont mobilisés cette année, soit sept classes de 6e, huit classes de 5e et une classe sportive de 4C. Ce sont les élèves de celle-ci qui vont encadrer le travail des plus jeunes.

Avec les professeurs d’art plastique, des fanions et des drapeaux sont réalisés. Une cérémonie d’ouverture est organisée. La phase de qualification, de huit semaines, valorise les bons comportements, comme travailler dans une ambiance studieuse ou se mettre en rang à la sonnerie, et pénalise les mauvais, comme mâcher un chewing-gum, bavarder ou être exclu du cours. Le tout est filmé. C’est cette vidéo qui permet de concourir au niveau national. Nicolas Cloarec, l’un des enseignants, est un pro du montage vidéo. Cela tombe bien. Il va mettre en valeur le travail de tous.

Dans les vestiaires reconstitués, les illustres anciens sur le grand écran du Musée du centre de formation de Clairefontaine, le 30 mai 2016 | CAP

Aujourd’hui, les douze garçons et neuf filles de la classe porteuse de projet vivent leur prix intensément. Après les encouragements de Didier Deschamps, direction le stade d’entraînement couvert – un équipement à faire pâlir les joueurs de Roland-Garros. Goûter, douches, visite du musée. Les garçons se photographient devant le maillot de Zinédine ­Zidane. Les profs restent devant le film sur la vie des illustres anciens dans une salle des vestiaires reconstituée. Sur l’écran, Joël Bats se fait couper les cheveux dans le car. Michel Platini, plutôt enveloppé, danse en caleçon. Aimé Jacquet prodigue ses conseils.

Fata, Awa, Marlène, Aya, Fatouata… Les filles jouent au foot parce que « tout le monde joue au foot en bas de l’immeuble »

Fata, Awa, Marlène, Aya, Fatouata… Les filles jouent au foot parce que « tout le monde joue au foot en bas de l’immeuble », lance Marlène. Nées à Aubervilliers, elles aiment leur ville, leur collège. « C’est bien, on a plein de copains », dit Fatouata. Les garçons s’agglutinent autour du trophée de la Coupe du monde 1998.

Florian Bechon conduit le projet Football en milieu scolaire à la FFF. Il leur détaille la suite des festivités : demain, ateliers cécifoot, free-style et bubble-foot, et match. Mais avant il y a la surprise, la remise à chacun d’un maillot de l’équipe de France, avant d’assister à France-Cameroun sur écran géant. Au concours de pronostics, personne n’avait anticipé que le Cameroun pourrait marquer deux buts. Le score le plus approchant est 2-1. Pour les Bleus naturellement. Gare à celui qui mettrait en doute leur future victoire. « On va dire : peut mieux faire », concède Maël Morice. Il est 23 heures. Cela laisse peu de temps pour dormir avant les ateliers à 9 heures.

Les enseignants du collège Gabriel-Péri d'Aubervilliers (de gauche à droite) : Lawra Nchouwat, un formateur de la FFF, Nicolas Cloarec, Maël Morice, Salomé Barbier et Baptiste Claudio. | CAP

Les garçons s’amusent entre deux exercices. | CAP

Les ados sont sur un nuage. Maël a toutefois un regret : ne pas avoir rencontré les joueurs, comme c’était prévu – ils étaient à Nantes. « Ce qui m’embête, c’est qu’on n’arrête pas de leur répéter qu’il faut “dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit”. Nous, on a fait le travail. On gagne. Et au final il n’y a pas le bonbon. » Les collégiens, eux, ne savent plus où donner du crampon, s’ex­tasient devant tout. Leur prof, Julien Duguet, a même croisé Mickaël Landreau à la cafétéria.

« Les enseignants se sont emballés. Nous n’avons jamais garanti que les enfants ren­contreraient les Bleus », se défend Florian Bechon, par ailleurs admiré de tous pour l’organisation de ce concours. A 33 ans, il reconnaît tout sacrifier à sa passion pour le ballon rond, « tant que je n’ai pas d’enfants ». Et puis, il garde le meilleur pour la fin. Les élèves de 4C vont les voir les Bleus, en vrai, le 15 juin. « Nous leur avons procuré des places pour assister à France-Albanie. » Ils seront de tout cœur avec eux. Et allez les Bleus !