COLCANOPA

Quand elle a pour la première fois déroulé son « agenda numérique », au printemps 2015, la Commission Juncker a commencé par braquer contre elle les multiples lobbys du secteur de l’Internet, des télécoms et des médias. L’institution avait de grandes ambitions : réformer de fond en comble le droit d’auteur, faire sauter les frontières nationales, encore bien réelles, régissant les ventes de droits d’exploitation des films, réguler les « plates-formes » Internet, les Google, Facebook, Amazon ou Apple, déjà dans le viseur de la lutte antitrust bruxelloise, etc.

Mais face aux réticences, et à la complexité d’un secteur en constante évolution, Bruxelles a révisé ses ambitions et sa manière de travailler. Place désormais à la stratégie des « petits pas », avec des révisions ciblées des lois européennes existantes, pour les adapter à l’ère digitale, mieux protéger les consommateurs, sans pour autant brider l’innovation. Mots d’ordre ? Equité, responsabilité, transparence…

Les annonces de mercredi 25 mai vont dans ce sens. Comme expliqué dans Le Monde du mercredi 18 mai, la Commission propose une révision de la directive « services audiovisuels » pour permettre aux pays membres d’obliger les plates-formes de vidéo à la demande (VoD), du type Netflix ou Amazon, à contribuer comme les autres acteurs de l’audiovisuel au financement de la création.

« Clause de révision »

La Commission s’attaque aussi au e-commerce, avec un projet de règlement sur le « géoblocking ». Il s’agit de créer les conditions d’un véritable marché unique pour la vente en ligne alors qu’aujourd’hui, il est encore souvent impossible d’effectuer une transaction sur un site Web localisé dans un autre pays de l’Union. Selon une étude diligentée par Bruxelles, 37 % seulement des sites étudiés permettent à des clients d’autres pays d’acheter en ligne leurs produits ou services.

Les internautes ne devraient plus être reroutés de manière automatique par des sites refusant leurs moyens de paiement. Bruxelles veut imposer une forme d’obligation de vente aux vendeurs en ligne, sans toutefois aller jusqu’à l’obligation d’expédier des produits : c’est aux clients de se débrouiller pour trouver un expéditeur. Sont exclus de ce règlement les services de vente en ligne de billets de train, avion, etc. ; le droit européen prévoyant déjà, très clairement, dans leur cas, un principe de non-discrimination en fonction de la situation physique de l’acheteur. Les services financiers en ligne (prêt, assurance) ne sont pas non plus concernés, Bruxelles souhaitant réglementer ultérieurement, de manière spécifique.

Cette annonce alarme les puissants lobbys de l’audiovisuel, de la musique et du livre, très présents à Bruxelles. Mardi 24 mai au matin, ils y avaient de nouveau organisé une rencontre avec les médias pour s’inquiéter des projets de la Commission à leur endroit. De fait, jusqu’à ces derniers jours, e-books, logiciels, jeux vidéo et musique devaient aussi être exclus du règlement « géoblocking », mais la Commission a finalement introduit dans sa proposition, mercredi, une « clause de révision », pour éventuellement les intégrer dans les années à venir, s’il s’avère que rien ne justifie, dans leur cas, un traitement différentié.

L’envoi d’un colis des Pays-Bas vers l’Espagne coûte 13 euros contre 32,74 euros pour le même colis, livré, lui, d’Espagne vers les Pays-Bas

Autre disposition annoncée mercredi : la lutte contre les abus dans les prix de l’acheminement des achats en ligne, entre pays de l’Union. La Commission a diligenté une étude, fin 2015, qui montre des disparités considérables. Un exemple ? L’envoi d’un colis des Pays-Bas vers l’Espagne coûte 13 euros contre 32,74 euros pour le même colis, livré, lui, d’Espagne vers les Pays-Bas… L’idée consiste, par le biais d’un autre règlement, à établir une liste des prix standards des différentes postes européennes pour les envois de colis d’un pays à l’autre, en espérant que cet exercice de transparence permettra à lui seul de mettre fin aux abus. Cette liste serait rendue publique par la Commission.

La Commission devait aussi, mercredi, présenter une étude sur les plates-formes Internet. « Mais plus personne ne plaide en interne pour les réguler, avec un texte horizontal, global, qui traiterait des banques en ligne, des services de VoD, des télécoms, etc. On aboutirait à une usine à gaz, confie une source européenne proche des discussions, qui ajoute : tout va tellement vite dans ces secteurs que si on se lance dans d’énormes chantiers législatifs, ils sont déjà dépassés quand ils sont enfin opérationnels. »

Introduire plus d’équité

Autres « petits pas » attendus d’ici la fin de l’année : la Commission veut s’attaquer aux multiples textes régissant le fonctionnement des télécommunications en Europe, avec l’idée de rafraîchir des directives datant de la fin des années 1990 et d’introduire plus d’équité, en matière d’obligations réglementaires, entre les acteurs traditionnels, opérateurs télécoms, et les nouveaux venus, type Skype ou WhatsApp.

Les lobbys de la culture redoutent enfin une autre réforme : une directive sur le copyright, prévue pour l’automne prochain, afin de rafraîchir un texte de 2001. Au cœur des intenses débats entre Bruxelles et les « ayants droit » : la liste des exceptions. Quelles œuvres pourraient être exploitées par quel public, sans que soient rémunérés les auteurs ? Bruxelles souhaiterait au moins pouvoir rendre les œuvres plus accessibles aux scientifiques, mais ce n’est pas gagné…