Le ministre éthiopien des affaires étrangères Getachew Reda lors de sa conférence de presse à Addis-Abeba après les heurts qui ont opposé des soldats erythréens et éthiopiens à Tsorona le 14 juin 2016. | SOLAN GEMECHU/AFP

Faut-il craindre une reprise des combats entre l’Ethiopie et l’Erythrée ? La question se pose sérieusement depuis que les autorités d’Asmara ont accusé, dimanche 12 juin, Addis-Abeba d’avoir perpétré une attaque à la frontière sud de l’Erythrée. L’Ethiopie a affirmé de son côté que les forces positionnées à la frontière n’avaient fait que se défendre et lancer une contre-offensive.

Qui est l’agresseur ? Qui est l’agressé ? La situation reste floue pour le moment. Cette attaque pourrait être la plus violente depuis la fin des hostilités entre les deux nations en 2000. De quoi raviver le souvenir de guerres dévastatrices qui ont opposé Asmara et Addis-Abeba.

Relations hostiles et paranoïaques

L’Ethiopie et l’Erythrée sont des « frères ennemis ». Frères, parce qu’ils ont combattu côte à côte contre le régime militaire de Mengistu Haile Mariam précipitant la chute du dictateur éthiopien en 1991. Ennemis, car leurs relations ont le plus souvent été hostiles.

L’Erythrée, après avoir été colonisée par l’Italie jusqu’en 1941, puis intégrée dans une fédération avec l’Ethiopie, et enfin annexée par cette dernière en 1962, a mené la guerre contre son voisin éthiopien durant trois décennies avant de parvenir à se libérer de son joug.

L’Ethiopie accordera finalement son indépendance à l’Erythrée – qui sera proclamée en 1993 – pour remercier les rebelles érythréens qui ont aidé les Ethiopiens à déposer le régime de Mengistu. Les relations sont d’abord cordiales entre les deux pays. Mais les hostilités ne tardent pas à éclater à nouveau.

Les désaccords sont nombreux : sur le plan économique, Asmara décide de changer de devise en 1997 en remplaçant le birr éthiopien par le nakfa. En réponse, l’Ethiopie, qui craint de perdre sa suprématie monétaire, impose à son voisin d’opérer leurs échanges bilatéraux en dollars. L’Erythrée riposte en imposant des taxes de passage, ce qui mène rapidement à l’arrêt des échanges commerciaux.

Les deux pays ne s’entendent pas non plus sur la démarcation de leur frontière, notamment dans certaines zones telles que Badmé, Bure et Tsorona. De 1998 à 2000, l’Ethiopie et l’Erythrée s’affrontent lors d’une guerre dévastatrice qui a fait plus de 80 000 morts et vidé les caisses des deux Etats.

Aujourd’hui, les deux pays sont dans une situation d’incertitude, entre guerre et paix, selon la plupart des observateurs. Les deux pays n’entretiennent aucune relation économique, politique ou diplomatique. Asmara agace Addis-Abeba en accueillant dans sa capitale la base des groupes armés éthiopiens, et en lui fermant un débouché maritime sur la mer Rouge. Inversement, la position privilégiée de l’Ethiopie irrite son voisin dont les relations avec la communauté internationale sont compliquées.

La frontière de la discorde

Depuis la cessation des hostilités en 2000, le différend frontalier n’est toujours pas résolu. Le tracé, qui s’étend sur mille kilomètres, est surveillé de part et d’autre par des troupes.

Lors des accords d’Alger, qui ont mis fin à la guerre en 2000, les deux parties s’étaient pourtant mises d’accord pour accepter la délimitation des frontières, supervisée par une commission indépendante chapeautée par les Nations unies. Une mission onusienne était également chargée de surveiller une zone tampon qui s’étendait sur 25 km pour maintenir la paix. Mais, depuis son départ en 2008, de multiples incidents ont eu lieu. Notamment dans la localité de Badmé, qui a été accordée à l’Erythrée en 2002, mais qui est occupée par l’Ethiopie depuis 2008.

A la frontière, les troupes sont sur le qui-vive. Et les rumeurs de conflit imminent sont alimentées par une certaine paranoïa réciproque. Le président érythréen Issayas Afeworki n’hésite pas à évoquer la menace d’une attaque éthiopienne pour légitimer le service militaire obligatoire « à durée indéterminée » auquel les Erythréens ne peuvent déroger, à moins de fuire le territoire.

Un climat de suspicion

Un climat de suspicion règne entre les deux pays de la Corne de l’Afrique depuis quinze ans. Ils ne cessent de s’entre-accuser de tous les maux. En 2012, par exemple, l’Ethiopie a attaqué une base militaire érythréenne au prétexte qu’elle constituait un lieu d’entraînement « terroriste » susceptible de déstabiliser le pays.

Plus récemment, en mai, les autorités éthiopiennes ont annoncé l’arrestation dans le sud du pays d’un commando armé érythréen qui s’apprêtait, selon elles, à commettre des actes illégaux sur le territoire. Trois mois plus tôt, Addis-Abeba avait reproché à Asmara son implication dans des manifestations contre le gouvernement éthiopien. Des « allégations ordurières » que le ministre érythréen de l’information Yemane Gebremeskel avait rejetées en bloc. Des informations qui sont difficilement vérifiables, quel que soit le régime.

Ni Asmara ni Addis-Abeba n’ont jamais hésité à brandir la menace. Dans un entretien accordé à Associated Press en mars, le premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn s’est dit prêt à agir contre le régime d’Issayas Afeworki si ce dernier provoquait l’Ethiopie.

« Ces attaques frontalières sont du déjà-vu, relativise un chercheur éthiopien qui souhaite garder l’anonymat. Aucun des deux pays n’a envie de s’engager dans une guerre imprévisible et coûteuse en hommes et en argent. Elles sont surtout un moyen de divertir l’attention nationale et internationale. » Et tenter de faire oublier les accusations de « crimes contre l’humanité » à grande échelle que l’ONU a officiellement portées contre le régime érythréen dans son rapport publié le 8 juin. AInsi que l’attaque d’un camp éthiopien en Somalie par les Chabab.