Le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, à Bruxelles, le 1er juin. | JOHN THYS / AFP

Bruxelles hausse le ton vis-à-vis du gouvernement eurosceptique polonais. Mercredi 1er juin, Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne, a annoncé avoir adopté un « avis » formel sur « l’Etat de droit » dans le pays, et plus précisément les actes législatifs du gouvernement de Beata Szydlo, dont l’une des premières mesures a été de reprendre en main le Tribunal constitutionnel.

Il s’agit d’une étape supplémentaire dans la procédure inédite lancée en janvier contre Varsovie, après que le parti Droit et justice (PiS, droite souverainiste et populiste) a gagné les élections, à l’automne 2015. On est encore loin d’éventuelles sanctions – que la Commission peut recommander en vertu d’un dispositif de surveillance adopté au printemps 2014 – mais cet « avis » prouve que le dialogue instauré par Bruxelles pour tenter de convaincre la Pologne de revenir sur ses législations n’avance guère.

Dans son « avis », qui n’a pas été publié, la Commission se concentre sur la réforme du Tribunal constitutionnel qui, estime-t-elle, conduit à son blocage. Ses recommandations concernent trois points : l’annulation de la nomination de trois juges acquis au PiS au Tribunal constitutionnel en remplacement de ceux nommés par la précédente majorité libérale à la fin de son mandat ; la mise en œuvre de tous les arrêts rendus par le Tribunal constitutionnel depuis le 9 mars ; et un retour sur la loi du 22 décembre 2015, modifiant le fonctionnement du Tribunal, qui a de facto abouti à sa quasi-paralysie.

Risque d’accusation d’ingérence

Depuis la mi-mai, la Commission menaçait d’en arriver à cet « avis », mais hésitait, espérant encore que le gouvernement évoluerait. Dans cet objectif, M. Timmermans a fait un aller-retour express à Varsovie, le 24 mai.

Mardi 31 mai, il a de nouveau parlé au téléphone avec la première ministre, apparemment en vain. « Cet avis permet de concentrer notre discussion sur les points qui, à nos yeux, posent problème », a expliqué prudemment M. Timmermans mercredi, assurant être « encore dans un processus de dialogue ».

La Commission a conscience de la difficulté de l’exercice et de sa relative impuissance. Elle est partagée entre son devoir de faire respecter les traités et le risque d’être accusée d’ingérence dans les affaires d’un pays dirigé par un gouvernement volontiers eurosceptique. Une réaction qu’elle veut absolument éviter à trois semaines du référendum britannique sur l’appartenance à l’Union.

La majorité prête à un compromis

« Nous n’avons pas du tout l’intention de nous immiscer dans un débat interne en Pologne, mais nous sommes responsables du respect de l’Etat de droit », a expliqué M. Timmermans mercredi. « Il n’y a pas eu de discussion au collège des commissaires [qui examinait la question de l’opinion, mercredi], c’était très consensuel », assure pour sa part un officiel européen.

Varsovie est maintenant invité à envoyer ses « observations » en réponse à l’« avis ». Si le blocage persiste, Bruxelles peut envoyer une « recommandation », demandant à la Pologne de changer ses pratiques « dans un délai raisonnable ». La procédure de « sauvegarde de l’Etat de droit »peut théoriquement déboucher sur l’activation de l’article 7 du traité de l’Union, prévoyant des sanctions. L’arme atomique, estime-t-on à Bruxelles, encore jamais activée contre un Etat membre.

Depuis la dernière visite de M. Timmermans à Varsovie, le 24 mai, le PiS se disait prêt à un compromis « de grande envergure », à céder – progressivement – sur les trois juges élus par la précédente majorité. Mais ces propositions n’ont visiblement pas convaincu la Commission, dans la mesure où elles ne sont pas acceptables en l’état pour les partis d’opposition polonais.

L’accueil des réfugiés en question

Le ministre des affaires européennes, Konrad Szymanski, a souligné que l’« avis » émis par Bruxelles n’apportait « rien de nouveau » dans le dialogue avec Bruxelles. « Nous restons prêts pour les consultations, mais cela ne veut pas dire que nous devons être d’accord sur chaque solution spécifique, a-t-il ajouté. Ces dernières doivent être en accord avec les attentes de la majorité parlementaire, ce qui est le plus important. »

Le ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, a pour sa part fait preuve du plus grand scepticisme. « Cela confirme malheureusement la narration de ceux qui disent que la Commission, influencée par l’opposition polonaise, fait preuve d’ingérence dans les affaires d’un Etat souverain, agissant contre un gouvernement qui [la] dérange ». Selon lui, cette pression a « d’autres objectifs », notamment que le gouvernement finisse par accepter « des dizaines de milliers d’immigrés et de réfugiés ». Ce que refuse par-dessus tout le nouveau gouvernement.

Dans un entretien accordé à la presse conservatrice, lundi 30 mai, le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski, a qualifié les pressions de Bruxelles « d’attentat contre la souveraineté » polonaise et s’est fait menaçant, assurant que le gouvernement pourrait« à tout moment » porter la procédure de la Commission devant la Cour de justice de l’UE. Le bras de fer politique entre Bruxelles et Varsovie semble en tout cas loin d’être fini.