Le Gallois Gareth Bale célèbre son but face à la Slovaquie, samedi 11 juin à Bordeaux. | NICOLAS TUCAT / AFP

Voilà sans doute le plus beau « derby » de cet Euro. Sans faire offense à l’Autriche et à la Hongrie, qui se sont affrontées mardi 14 juin (2-0 pour les Hongrois), l’opposition entre l’Angleterre et le pays de Galles promet une ambiance autrement plus chaude du côté de Lens, jeudi après-midi (15 heures). Les deux nations britanniques se sont rencontrées plus d’une centaine de fois depuis leur premier match amical, en 1879. Proches par certains aspects – comme le nombre élevé de binationaux chez les Gallois –, elles ne jouent pourtant pas souvent dans la même cour. Explications.

  • Expérience internationale : avantage Angleterre, mais…

La scène se passe dans un pub de Cardiff, à la fin du mois de mai. Assis à une table, une pinte de bière à la main, un supporteur gallois, la cinquantaine bien tassée, s’esclaffe, en parlant de son équipe nationale : « Quand ils se sont qualifiés, ça a été le plus beau jour de ma vie, devant mon mariage ! » Rires dans l’assistance, hilare. Au premier rang de l’auditoire, l’épouse du supporteur, visiblement peu susceptible, n’est pas la dernière à se marrer. Au demeurant, il est fort possible que la boutade comporte une grande part de vérité.

La qualification de la sélection de Chris Coleman pour la phase finale d’un Euro – une première historique pour ce pays de 3 millions d’habitants – a été vécue comme un événement. Les Gallois n’avaient plus participé à une grande compétition internationale depuis la Coupe du monde 1958 disputée en Suède. Les coéquipiers d’Ivor Allchurch s’étaient alors inclinés face au Brésil d’un certain Pelé, en quarts de finale (1-0).

Depuis, le pays de Galles semblait voué à enchaîner les déceptions. Il faut bien comprendre les frustrations ressassées pour mesurer à sa juste valeur la joie des supporteurs. « A plusieurs reprises, la sélection a joué de malchance, explique Chris Wathan, rédacteur pour le Western Mail, principal quotidien du pays. Très souvent on a pensé être maudits. Tant de fois, nous avons été si proches. »

Il y eut d’abord cette rencontre capitale pour la Coupe du monde 1978 face à l’Ecosse. Un match nul est requis, les Gallois semblent le tenir au bout de leurs crampons, quand une erreur d’arbitrage offre un penalty aux Ecossais. En amont de la Coupe du monde 1982, les Gallois jouent un match décisif face à l’Islande, qu’ils doivent remporter. Alors qu’ils mènent 2-0, le match est interrompu après une coupure des lumières. Quand la partie reprend, les Islandais renversent la vapeur (2-2). Avant l’Euro 2004, les « Dragons » disputent des barrages face à la Russie. S’ils sont éliminés sans scandale d’arbitrage, ils conservent un souvenir amer du contrôle positif de l’un des joueurs russes, Egor Titov, qui n’eut pas de conséquence collective. La liste n’est pas exhaustive.

L’Angleterre, elle, dispose d’une expérience beaucoup plus importante, avec sept participations à l’Euro. Pour autant, elle n’a jamais remporté le tournoi continental et n’y a jamais vraiment brillé. Pis, la meilleure performance de la sélection des Three Lions, une troisième place, remonte à… 1968, dans un format de compétition qui n’avait rien à voir avec celui d’aujourd’hui.

Depuis, hormis une demi-finale perdue face à l’Allemagne lors d’un Euro organisé à domicile, en 1996, les Anglais n’ont guère été performants, se faisant souvent éliminer de justesse, aux tirs au but, comme ce fut le cas en 2012, face à l’Italie, en quarts de finale.

Le défenseur Gary Cahill, effondré après le match nul concédé face à la Russie (1-1), samedi 11 juin à Marseille. | Jason Cairnduff / REUTERS

  • Débuts lors de cet Euro : avantage pays de Galles mais…

Peut-être encore plus beau que sa qualification, le pays de Galles a réussi la performance de battre la Slovaquie (2-1) pour son entrée dans la compétition, dimanche 12 juin, prenant ainsi une option en vue des huitièmes de finale. Le scénario ne pouvait pas être plus idéal à l’heure d’affronter, jeudi 16 juin à Lens, les Anglais, que le tirage au sort eut la malice de placer dans le même groupe.

L’Angleterre devra assumer son statut de favori sur le papier, si elle veut conserver des espoirs de qualification. « Je pense que l’Angleterre est plus inquiète de jouer contre le pays de Galles que nous le sommes de jouer contre eux, estimait avant la compétition Neil Ward, président du Welsh football Trust, une structure chargée de développer le football au pays de Galles. On attend des Anglais qu’ils gagnent, et s’ils ne le font pas, il y aura beaucoup de pression de leurs fans. »

La pression risque d’être d’autant plus forte sur les épaules des Anglais que les coéquipiers de Wayne Rooney ne sont pas parvenus à faire mieux qu’un match nul face aux Russes (1-1), dimanche à Marseille, lors d’une journée où il fut plus question de batailles rangées extra-sportives que du match sur la pelouse.

Ces deux nations de football se connaissent par cœur. L’immense majorité des joueurs du pays de Galles jouent en Premier League anglaise. L’attaquant vedette du Real Madrid, Gareth Bale, a été formé à Southampton, avant de faire les beaux jours de Tottenham puis de partir en Espagne. Parmi les 23 joueurs des « Dragons », neuf sont nés en Angleterre. Pas forcément au niveau pour jouer avec l’Angleterre, ils ont choisi, parfois très jeunes, d’opter pour le pays de Galles.

Un bilan historique donne toutefois une idée de la domination des Anglais. Depuis le 18 janvier 1879 et leur première opposition, l’Angleterre et le pays de Galles se sont affrontés 101 fois. Bilan : 66 victoires pour les Anglais, 21 nuls et seulement 14 succès pour les Gallois. La dernière fois que les Anglais ont perdu remonte au 2 mai 1984 (1-0 pour le pays de Galles), lors d’un match comptant pour la dernière édition en date du Championnat britannique des nations, un tournoi annuel qui rassemblait l’Irlande du Nord, l’Angleterre, l’Ecosse et le pays de Galles.

Des supporteurs gallois lors du premier match de leur sélection face à la Slovaquie, samedi 11 juin à Bordeaux. | Petr David Josek / AP

  • Supporteurs : avantage pays de Galles

D’un côté, les fans gallois ont laissé des souvenirs festifs à Bordeaux, en marge du match contre la Slovaquie, samedi 11 juin. « Le peuple rouge a apporté ses dragons, qui donnent à leur parade un air de Nouvel An chinois, certains se sont grimés en beaux diables, notait l’envoyé spécial du Monde dans la cité girondine. Enorme frisson partagé, quand retentit un Hen Wlad Fy Nhadau, à pleins poumons et juste, ce qui ne surprend pas quand on connaît la tradition des chorales dans ce pays. »

De l’autre, les Anglais ont livré une image nettement moins glorieuse, en marge du match Angleterre-Russie, samedi 11 juin à Marseille. De nombreux heurts impliquant des supporteurs des Three Lions et des Russes ont fait au total 35 blessés. Lundi 13 juin, six Britanniques ont été condamnés à de la prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Marseille.

Des supporteurs anglais, samedi 11 juin à Marseille. | JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

L’UEFA a menacé l’Angleterre d’une disqualification en cas de nouvelles violences provoquées par ses supporteurs. Lundi, le sélectionneur Roy Hodgson s’est exprimé dans une vidéo mise en ligne par la Fédération anglaise : « Je lance un appel à nos fans : nous apprécions votre soutien, mais je vous enjoins à rester loin des troubles, afin que les menaces qui pèsent sur nous ne soient pas mises à exécution. »

Les autorités ont renforcé les mesures de sécurité. Un arrêté restreignant la consommation et le transport d’alcool est entré en vigueur dans le centre-ville de Lens, alors que mercredi en fin d’après-midi, cinq personnes à bord d’un train transportant des Gallois et des Anglais ont été interpellées en gare de Hazebrouck (Nord) pour « ivresse publique manifeste ». Tout de même, certains bars et restaurants disposant d’une licence devraient pouvoir servir de l’alcool. De la bière devrait aussi être disponible dans la fan-zone. Pour un « derby » Angleterre-Galles, le contraire eût été sacrilège aux yeux des supporteurs britanniques.