Les Hongrois célèbrent l’ouverture du score avec leurs supporteurs. | Petr David Josek / AP

En tournoi majeur, il s’agissait de retrouvailles historiques puisque le précédent remontait à la Coupe du monde de 1934. Le Beau Danuble bleu a retenti dans le nouveau stade de Bordeaux, mardi 14 juin, avant l’entrée des Autrichiens et des Hongrois.

Et le duel, à la surprise générale, a tourné à l’avantage des seconds, qui se sont imposés sur le score de deux buts à zéro devant leurs supporteurs en liesse. Les joueurs de l’Allemand Bernd Storck prennent provisoirement la tête de ce groupe F (comme faiblard), où le Portugais Cristiano Ronaldo devrait marquer des buts. Peut-être dès ce soir face aux Islandais à Saint-Etienne.

Rapportée par notre chroniqueur Albrecht Sonntag, cette blague circulait ces jours-ci en Allemagne. Une conversation entre deux centenaires :

- « Mardi, il y a Autriche-Hongrie... »

- « Ah bon ? Contre qui ? »

Autriche-Hongrie, donc. Et pourquoi pas Bosnie-Herzégovine ? Rhénanie-Palatinat ? Syldavie-Bordurie ? L’affiche, en tout cas, a amusé et intrigué également les Bordelais, en leur rappelant leurs cours d’histoire, Sarajevo et l’archiduc François-Ferdinand. Elle exhalait un délicieux parfum de décadence Habsbourg, Sissi et marche de Radetzky.

Décadence ? Il en va de même pour le football. Les deux nations sont aujourd’hui confites dans le mythe de deux équipes en noir et blanc, la Wunderteam de Matthias Sindelar dans les années 1930, l’Aranycsapat (« équipe d’or ») de Ferenc Puskas dans la décennie 1950, toutes deux brisées par des logiques totalitaires, l’Anschluss pour la première, l’intervention des chars soviétiques à Budapest pour la seconde.

Depuis la naissance du championnat d’Europe en 1960, plus rien à signaler ou presque. Deuxième participation seulement pour l’Autriche et la première acquise par les qualifications, le co-organisateur de l’Euro 2008 – avec la Suisse – s’étant fait sortir sans gloire dès le premier tour. Troisième pour les Hongrois (la dernière en 1972) qui, malgré leur prodigieux déclin, ont conservé leur surnom de Magykus Magyarok. Ils se sont qualifiés in extremis en battant la Norvège en barrage.

« Tournée des Huns »

Leurs supporteurs portent fièrement des t-shirts annonçant une « tournée des Huns » (l’arrière droit se nomme Attila Fiola). Mais pour que les pelouses des grandes compétitions internationales ne repoussent plus à leur passage encore faudrait-il qu’ils les foulent, ce qu’il n’avaient plus fait depuis trente ans. Le Hongrois le plus effrayant de la période récente reste le Magyar à pointes, monstre de « Harry Potter ».

Les Autrichiens paraissent plus crédibles avec leur slogan « Frankreich, Wir Kommen » (« France, nous arrivons »). Leurs progrès leur permettent aujourd’hui d’occuper une étonnante 10e position au classement FIFA, sept rangs devant la France... Leur bilan en éliminatoires est éloquent : neuf victoires (dont un 4-1 à Stockholm) et un nul. En attendant leur derby, les Huns et les Autrichiens fraternisaient et dansaient gaiement sur la place de la Bourse autour d’une banda qui semblait jouer pour eux un air de circonstance, le Pastime Paradise de Stevie Wonder.

Balazs Dzsudzsak avec les supporteurs hongrois après la victoire. | Petr David Josek / AP

Rare dans nos contrées, l’Himnusz magyar a la sinistre réputation de coller le bourdon, avec son rythme lent et ses incantations douloureuses rappelant les « siècles agités du peuple hongrois ». Le Comité olympique national a d’ailleurs demandé à l’Orchestre symphonique des chemins de fer d’accélérer la cadence pour les Jeux de Rio. Il semble appartenir à une tradition musicale hongroise puisque c’est à Reszö Seress que l’on doit le fameux Szomorú Vasárnap, devenu Gloomy Sunday comme standard de jazz avec Billie Holiday ou Sombre dimanche avec Damia, la tragédienne de la chanson française. Une légende urbaine a attribué cette chanson à une vague de suicides à Budapest dans les années 1930 – l’auteur lui-même mit fin à ses jours.

Kiraly, plus vieux joueur de l’Euro

Le match, heureusement, débute sur un rythme nullement déprimant. Dès la première minute, une frappe de David Alaba heurte le poteau gauche du vétéran Gabor Kiraly, désormais plus vieux joueur de l’histoire de l’Euro à 40 ans. Le renouveau autrichien est incarné par l’éclosion du prodige de 23 ans, titulaire au Bayern Munich.

Le pays qui a failli porter à la présidence de la République un candidat d’extrême droite s’en remet entièrement dans cet Euro à ce garçon né de père nigerian et de mère philippine. Alaba est encore proche d’ouvrir la marque d’une reprise instantanée à la 10e minute. Connu pour sa poylvalence, il se déploie partout pour animer le jeu.

Outsiders, les Hongrois ont précédemment réagi par un tir cadré de Laszlo Kleinheisler. Et surprennent par leur technique en contre, en péchant seulement dans la finition. Leur jeu de passes léché, déployé sur les ailes grâce à l’activité des deux barbus latéraux, Fiola et Tamas Kadar, déclenche des « olé ! » chez leurs supporteurs, plus bouillants que les fans autrichiens.

A la 35e minute, les « Rot, Weiss, Roten » sont néanmoins proches d’ouvrir le score par Zlatko Junuzovic, sur une belle déviation de la tour Marc Janko. Mais l’expérimenté Kiraly ne se laisse pas surprendre par le rebond. Les Autrichiens vendangent du tokai, à l’image de Martin Harnik, incapable de redresser son tir alors que la cage était vide. Sur l’autre but, c’est au tour du capitaine Balasz Dzsudzsak de se présenter seul face à Robert Almer, mais il croise trop sa frappe. Les débats s’équilibrent.

But refusé aux Autrichiens

A la reprise, les Hongrois s’enhardissent. Une frappe lointaine de Dzsudzsak oblige Almer à détourner des poings. C’est finalement sur un une-deux parfait avec Laszlo Kleinheisler que l’avant-centre Adam Szalai finit par tromper Almer d’une finition jambe tendue (62e). La scène, devant la tribune hongroise, provoque une explosion de joie et l’apparition d’un fumigène. Le même Szalai venait pourtant de se faire siffler par ses supporteurs pour sa lourdeur et sa transparence...

La tristesse de David Alaba à la fin du match. | TOBIAS SCHWARZ / AFP

Sur l’action qui suit, un but est logiquement refusé aux Autrichiens. Leur défenseur Aleksandar Dragovic s’est rendu coupable d’un tacle rugueux. Déjà averti, il est renvoyé aux vestiaires.

Réduits à dix, les Autrichiens peinent dès lors à contenir les raids hongrois. Adam Nagy peut doubler la mise mais son tir survole la barre transversale. Almer détourne ensuite un tir cadré de Kristian Németh. Les Autrichiens ont la possibilité de revenir au score avec Richard Guzmics. Il effectue un drop, geste qui n’appartient pourtant pas aux coutumes autrichiennes. Mais c’est le remplaçant Zoltan Stieber, lancé en contre, qui aggrave le score à cinq minutes de la fin du temps réglementaire, en lobant joliment d’une balle piquée Almer, parti à sa rencontre.

Le football, priorité de Viktor Orban

Le résultat ravira le premier ministre hongrois Viktor Orban. Ancien footballeur de deuxième division, il a fait de son sport une priorité de sa politique nationaliste, en consacrant 500 millions d’euros à la construction ou à la rénovation d’enceintes, davantage que les crédits alloués à l’enseignement supérieur...

Ses efforts ont été salués par Sepp Blatter et Michel Platini, de même que la création en 2005 d’un club, Puskas Academy, dans son village natal de Felcsut qui dispose désormais d’un stade de 4 500 places, plus de deux fois supérieur à la population locale. L’équipe vient d’être reléguée en deuxième division mais compte néanmoins un titulaire dans la sélection, Attila Fiola.

Pour les Autrichiens, tout n’est pas perdu grâce à la formule à 24 équipes voulue par Platini – et ses « meilleurs troisièmes » repêchés – pour satisfaire ses amis de la Mitteleuropa. Les joueurs du Suisse Marcel Koller auront la tâche difficile face au Portugal le 18 juin au Parc des Princes mais ils pourront se rattraper contre l’Islande quatre jours plus tard au Stade de France.

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