Didier Deschamps et Karim Benzema en 2013. | FRANCK FIFE / AFP

Dans quel état d’esprit pouvait bien être Didier Deschamps en se levant, mercredi 1er juin au petit matin, dans sa chambre d’hôtel à Neustift im Stubaital, dans le Tyrol autrichien, où les Bleus préparent « leur » Euro 2016 ? Quelques heures plus tôt, le site du quotidien sportif espagnol Marca révélait les premiers extraits de l’entretien explosif que lui a accordé Karim Benzema, récent vainqueur de la Ligue des champions avec le Real Madrid, et écarté par le sélectionneur, le 13 avril, en raison de sa mise en examen, le 5 novembre 2015, pour « tentative de chantage » et « participation à une association de malfaiteurs » dans l’affaire du chantage à la sextape, dont son coéquipier tricolore Mathieu Valbuena est la victime. La veille, Didier Deschamps apprenait que Lassana Diarra, élément essentiel de son dispositif, devait déclarer forfait pour la compétition en raison d’une « inflammation au genou gauche ».

« On ne doit pas revoir nos ambitions à la baisse, mais faire tout pour aller le plus loin possible », avait pourtant déclaré, le 23 mai, le sélectionneur, dont l’objectif minimal est d’atteindre le dernier carré du tournoi. Or, le technicien ne s’attendait guère à cette série d’infortunes, plaçant ses joueurs dans une zone de turbulences. Sous pression après les titres glanés à la maison lors de l’Euro 1984 et du Mondial 1998 par leurs prédécesseurs, diminués sur le plan sportif, les Tricolores abordent cette compétition à domicile dans le pire contexte possible.

  • La charge incendiaire de Benzema

L’actuel meilleur buteur des Tricolores en activité (27 buts) accuse Deschamps dans Marca, « organe officiel » du Real Madrid, d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France », rappelant les succès électoraux du Front national, un « parti extrémiste ».

« J’ignore si c’est une décision seulement de Didier [Deschamps], parce que je m’entends bien avec lui, avec le président [de la Fédération française de football, Noël Le Graët,] et avec tout le monde », déclare le Merengue, tout en ajoutant que « la France va se rendre compte qu’elle a été injuste avec [lui] ». « Ils m’ont déclaré non sélectionnable, bien. Mais sur le plan sportif, je ne comprends pas pourquoi, et sur le plan judiciaire, je ne suis pas encore jugé et je suis présumé innocent. Il faudra attendre que la justice se prononce », assène Benzema, comme pour répondre au premier ministre Manuel Valls et à Patrick Kanner, le ministre des sports, qui s’étaient prononcés contre son retour en équipe de France.

Sur le fond de l’affaire dite « de la sextape », le canonnier des Galactiques accuse Valbuena de ne pas avoir « dit la vérité ». « Il a joué un rôle (…), et tout vient de là. J’ai voulu l’aider, rien de plus, et l’histoire s’est retournée contre moi », insiste Benzema. S’il n’écarte pas de revenir en sélection, sa sortie a des allures de véritable suicide médiatique, mettant en péril la suite de sa carrière internationale. Ses propos ont été jugés « injustifiés et inacceptables » par Thierry Braillard, le secrétaire d’Etat aux sports.

A neuf jours de l’entrée en lice de ses coéquipiers, le 10 juin face à la Roumanie, la charge incendiaire de Benzema est de nature à mettre le feu dans la « maison bleue » et à polluer la préparation des Tricolores. Ponctuant une véritable affaire d’Etat, l’interview de Benzema arrive tel un boomerang alors que Deschamps avait préféré déminer la situation et s’éviter toute polémique durant l’Euro en écartant l’ex-joueur de l’Olympique lyonnais. « Didier est irréprochable, en pleine forme, il est costaud », a assuré Noël Le Graët, le patron de la Fédération. Karim Benzema, je l’aime bien, je n’ai pas changé d’idée, il s’est laissé un peu aller (dans son interview ), je préfèrerais qu’il soit plus aimable, mais je ne répondrai plus sur ce sujet. »

Didier Deschamps le 30 mai. | LOIC VENANCE / AFP

De surcroît, cet entretien paraît après que l’ex-attaquant tricolore Eric Cantona a taclé à deux reprises le sélectionneur dans les colonnes du Guardian et du JDD, l’accusant de n’avoir pas avoir retenu Benzema et le surdoué Hatem Ben Arfa à cause de leurs « origines nord-africaines. » Une sortie qui a poussé « DD » a porté plainte. Pour sa part, l’humoriste Jamel Debbouze a, lui, jugé dans France-Football que les deux joueurs mis à l’écart « payaient la situation sociale » du pays et que les Bleus n’étaient pas « représentatifs des banlieues ».

  • Le forfait de Lassana Diarra

A ces polémiques dont se sont déjà emparés les représentants politiques de tous bords s’ajoute le forfait de dernière minute du milieu marseillais Lassana Diarra, victime d’une « inflammation du genou gauche ». Mardi 31 mai, à 23 h 10, la FFF a officialisé le remplacement du joueur de 31 ans par le Mancunien Morgan Schneiderlin. Alors qu’il avait joué quarante-cinq minutes la veille lors du match amical victorieux (3-2) contre le Cameroun, Lassana Diarra « a très honnêtement fait part au sélectionneur, dans la soirée de mardi, de son incapacité à aborder l’Euro en pleine possession de ses moyens ». Sur son compte Twitter, le joueur assure avoir « forcé sur son genou depuis plusieurs semaines » et avoir « besoin de trois semaines de repos complet ».

Revenu chez les Bleus en octobre après trois ans d’absence, la sentinelle de l’OM s’était imposée comme un indéboulonnable titulaire dans l’optique de l’Euro. Son forfait est un véritable coup dur pour Deschamps, privé de l’un de ses cadres et obligé de reconfigurer son milieu de terrain. « Lass » avait déjà dû se résigner à ne pas participer au Mondial 2010 en raison d’une forme d’anémie, la drépanocytose.

Constamment ménagé depuis le début du stage de préparation, le joueur phocéen soignait « une petite blessure au genou, sans gravité », selon le staff tricolore, il y a encore quelques jours. Ces éléments de langage avaient également été utilisés par Deschamps pour commenter la situation de son défenseur Jérémy Mathieu, qui a déclaré forfait le 28 mai en raison d’une gêne au mollet. L’arrière du Barça a été remplacé dans la liste des vingt-trois par le Lyonnais Samuel Umtiti, aucune sélection au compteur.

  • Litanie d’infortunes

Comme si sa légendaire baraka lui faisait soudainement défaut, Deschamps est confronté à une litanie d’infortunes. Il a ainsi dû se passer des services de l’arrière de Liverpool Mamadou Sakho, contrôlé positif par l’UEFA à un « brûleur de graisses », en mars, et dont la suspension de trente jours a pris fin le 28 mai.

Didier Deschamps a dû se passer des services de l’arrière de Liverpool Mamadou Sakho, contrôlé positif par l’UEFA à un « brûleur de graisses », en mars, et dont la suspension de trente jours a pris fin le 28 mai. | CATHAL MCNAUGHTON / REUTERS

Contraint d’écarter le défenseur des Reds de sa liste des vingt-trois, le sélectionneur a également dû rayer les noms de Kurt Zouma, touché en février au genou, de Benoît Trémoulinas, blessé au ménisque, et de Mathieu Debuchy, atteint à la cuisse le 11 mai. Le 23 mai, il a également dû officialiser le forfait de son vice-capitaine Raphaël Varane, victime d’une déchirure du biceps fémoral gauche. Remplaçant du Merengue, Adil Rami a été incorporé à la liste des vingt-trois alors qu’il était snobé par « DD » depuis juin 2013. Titularisé contre le Cameroun aux côtés de Laurent Koscielny, le Sévillan s’est montré fébrile, multipliant les erreurs de marquage et les mauvaises relances. Sa prestation illustre en outre la porosité de la défense tricolore à quelques jours de l’Euro.

  • Les affaires

Outre les blessures et les forfaits, Didier Deschamps a vu son nom cité dans les affaires autour de l’Olympique de Marseille. A la fin d’avril, le Journal du ­dimanche a révélé que le sélectionneur était sous la menace d’une expertise judiciaire dans le cadre de l’enquête sur des transferts de l’OM, dont le quadragénaire fut coach de 2009 à 2012. Le juge chargé du dossier s’intéresse à l’indemnité de départ (900 000 euros) qui lui a été versée, soupçonnant un éventuel recel d’abus de biens sociaux. Lié jusqu’en 2013 au club phocéen, le technicien aurait donc dû, selon l’hebdomadaire, en cas de départ de son fait, verser des indemnités à son employeur au titre de réparation du préjudice subi.

Selon le JDD, Antoine Veyrat, ancien directeur général de l’OM (2008-2011), a transmis à la justice « deux paperboards de la main de Didier Deschamps ». Mis en examen comme son ancien président Jean-Claude Dassier (2009-2011), il entend démontrer que l’actuel patron des Bleus était au courant des sommes et montants des transferts concernés. « J’affirme que je ne me suis jamais occupé d’une négociation de transfert ni d’un montant de salaire de joueur ! C’était le travail des dirigeants », a rétorqué l’ex-entraîneur olympien au JDD.

Par ailleurs, L’Equipe et Le Canard enchaîné ont publié des extraits d’écoutes téléphoniques lors du passage de « DD » dans la cité phocéenne. « C’est une enculerie, j’ai envoyé un scud à Vincent, je t’explique pas ! Il a pas réagi, mais il joue au fils de pute, hein ! Je te le dis, c’est lui qui a fait l’article hein ! (…) Pour sauver sa petite tronche, il me fout sur la gueule », a notamment déclaré le Bayonnais à propos de Vincent Labrune, président de l’OM depuis 2011.