Dimitri Payet, mercredi 15 juin, au Stade-Vélodrome, après avoir inscrit, dans les arrêts de jeu, le but du 2-0 contre l’Albanie. | ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Décidément, les supporteurs des Bleus doivent avoir le cœur bien accroché. Tétanisés par l’enjeu, les protégés du sélectionneur Didier Deschamps avaient peiné à s’imposer (2-1) contre la Roumanie, le 10 juin, au Stade de France, lors du match d’ouverture de leur Euro. Poussifs, ils n’avaient trouvé la faille qu’à la 89e minute de jeu, délivrés par le magnifique but de Dimitri Payet, propulsé d’un geste sauveur de la nation. Ce scénario crispant s’est réitéré à Marseille, mercredi 15 juin, lors du deuxième succès (2-0) obtenu dans le tournoi par les Tricolores, cette fois face à l’Albanie. Une victoire acquise à l’arraché, grâce à deux réalisations juste avant le coup de sifflet final.

« Gagner en fin de match, c’est plutôt bon signe. Je ne vous cache pas que j’aimerais qu’on débloque la situation plus tôt. On finit toujours bien les matchs et c’est la dernière impression qui reste », a estimé Didier Deschamps, sans se départir de son pragmatisme. Le Bayonnais peut d’autant plus savourer ce succès qu’il n’a pas hésité à changer de schéma tactique en cours de partie, lançant l’attaquant Antoine Griezmann, auteur du but de la délivrance à la 90e minute, et le milieu Paul Pogba. Visiblement émoussés contre la Roumanie, les deux joueurs avaient été relégués sur le banc de touche au coup d’envoi.

Ressources mentales

Sous un ciel orageux, le public du Stade-Vélodrome a longtemps piaffé d’impatience au cours de cette rencontre cadenassée. Le visage peinturluré en bleu-blanc-rouge, les spectateurs phocéens ont d’abord oscillé entre ennui et profonde exaspération, se désolant de la pâle prestation livrée par les Bleus en première période. A intervalles réguliers, ils ont entonné La Marseillaise pour piquer au vif « leur » sélection, annihilée par l’accrocheuse défense des kuq e zinjtë (« rouge et noir »), défaits (1-0) par la Suisse, le 11 juin. A la pause, des sifflets nourris se sont même abattus sur les joueurs de Didier Deschamps, comme hagards au moment de regagner les vestiaires.

Didier Deschamps : « J’ai un groupe de compétiteurs. J’aime ça. Je veux les voir comme ça »

Les supporteurs français ont alors cru que le « bizut » albanais – qui participe à sa première compétition internationale – était en mesure de jouer encore un vilain tour aux Tricolores. La formation des Balkans n’avait-elle pas obtenu un nul (1-1) satisfaisant à Rennes, en novembre 2014, avant de faire chuter (1-0) les Bleus, en juin 2015, dans son stade d’Elbasan ? Bien que privés de leur capitaine et ex-joueur marseillais (2005-2009) Lorik Cana, expulsé contre les Helvètes, les Aigles albanais ont continué à donner des sueurs froides à Hugo Lloris, le gardien des Tricolores, sauvé par son poteau sur un centre dévié malencontreusement par son défenseur Bacary Sagna.

Une forme de résignation a plané dans les travées grouillantes du Vélodrome au fil des occasions vendangées par l’équipe de France. Sur le bord du terrain, Didier Deschamps multipliait les signes d’agacement, recadrant avec autorité ses troupes. Soudainement, le champion du monde 98 a exulté, lançant en l’air sa bouteille d’eau. D’une tête décroisée, Antoine Griezmann venait d’ouvrir la marque, aussitôt recouvert par ses partenaires extatiques. Dans les arrêts de jeu, le sélectionneur a serré les poings lorsque Dimitri Payet a doublé la mise, provoquant un séisme dans les tribunes et tuant les ultimes espérances des rouge et noir.

Lacunes et fragilités

Cette victoire acquise dans la douleur et l’angoisse propulse les Bleus en tête du groupe A. Avec six points, ils devancent de deux unités la Suisse, tenue en échec (1-1) par la Roumanie au Parc des Princes. De surcroît, ce succès permet à l’équipe de France de valider sa qualification pour les huitièmes de finale avant son duel contre son rival helvétique, dimanche 19 juin, à Lille, où elle tentera de conserver sa première place. Mais ce succès obtenu sur le fil ne masque guère les fragilités et les lacunes des Tricolores, dont le potentiel reste une énigme. Dans l’auditorium du Vélodrome, Didier Deschamps a mis l’accent sur l’abnégation et les ressources mentales de ses hommes.

« J’ai un groupe de compétiteurs. J’aime ça. Je veux les voir comme ça, a souri le technicien, réputé pour son tempérament de gagneur. Tant que l’arbitre n’a pas sifflé, il faut oser, user. On pousse jusqu’au bout. » Devant un parterre de journalistes davantage soulagés qu’optimistes pour la suite, le sélectionneur a loué la combativité de ses protégés tout en passant sous silence l’indigence de leur jeu en première période. Lui, l’ex-milieu besogneux, le « porteur d’eau » respecté pour sa kyrielle de titres et les litres de sueur qu’il déversait sur les terrains, ne pouvait que rendre un hommage appuyé à ses méritants « soldats ».

Dans les couloirs du Vélodrome, les Bleus ont usé du même discours, puisant dans un vocable guerrier. « On a su arracher cette victoire dans les derniers instants. C’est notre force en ce moment, a confié l’ex-attaquant marseillais (2010-2015) André-Pierre Gignac, ovationné lors de son entrée en jeu. On aimerait se faciliter les choses mais on avait des morts de faim en face de nous. Cet Euro est très difficile. Mais le coach nous inculque la gagne au jour le jour. »

Face à des sélections plus chevronnées que l’Albanie, elle ne pourra éternellement espérer trouver son salut dans les derniers instants du match

Elu une nouvelle fois homme du match par l’Union des associations européennes de football (UEFA), cinq jours après son exploit contre la Roumanie, Dimitri Payet a souligné la « patience » dont a fait preuve sa formation. « Depuis mars et le match amical gagné [3-2] contre les Pays-Bas, on a montré qu’on pouvait aller chercher ces victoires malgré des scénarios compliqués, a analysé le Réunionnais, devenu la principale arme offensive des Bleus (deux buts, une passe décisive) depuis l’ouverture du tournoi. Mais cela montre qu’on est présents tout au long de la rencontre. »

« Il faut y croire jusqu’au bout, ça se joue avec le cœur, la tête, les jambes, a philosophé Hugo Lloris, le capitaine des Tricolores. Le public a aussi joué son rôle. Cet engouement nous pousse à aller chercher cette victoire. » Alors qu’elle aspire à revenir au Stade-Vélodrome, le 7 juillet, pour les demi-finales, l’équipe de France devra s’épargner pareilles frayeurs à l’avenir. Car, face à des sélections plus chevronnées que l’Albanie, elle ne pourra éternellement espérer trouver son salut dans les derniers instants du match. Aussi combative et déterminée soit-elle.

France-Albanie : le résumé en images
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