Maintenant que les trombes d’eau se sont arrêtées sur Roland-Garros, que les échanges de balles trop lourdes ont cessé sur une terre battue qui paraissait désespérément terne sous les ciels plombés, et que les abords de la porte d’Auteuil vont regagner leur calme habituel, il serait bon de reprendre raison sur l’extension des Internationaux de France de tennis.

Il est aussi vain d’attribuer les difficultés de l’édition 2016 (calendrier des matchs bousculé par la météorologie, allées du tournoi surpeuplées plus encore que les gradins des courts, chantier de démolition arrêté en plein milieu du périmètre actuel) aux actions en justice des associations de défense de l’environnement et du patrimoine, que de lier la crue de la Seine au réchauffement climatique séculaire. Et les polémiques entre les dirigeants de la Fédération Française de Tennis et ses détracteurs sont assez pauvres d’arguments sans cesse ressassés (modernité contre archaïsme, attractivité contre environnement, cadres créatifs contre bourgeois rassis du XVIe arrondissement). Elles sont surtout sans perspectives, laissant l’issue de l’incertitude aux jeux des alliances politiciennes, des aléas de la justice administrative, et à l’essoufflement des acteurs. Tous y perdront.

Un enjeu d’attractivité et de justice sociale

Il est grand temps de distinguer débats démocratiques et erreurs politiques. Une première question porte sur le rôle et la place du sport professionnel de haut niveau dans la ville. D’aucuns peuvent estimer légitimement que l’événement mondial est trop cher payé dans une capitale déjà très dense, que les fractures sociales n’ont rien à gagner à ces spéculations de l’argent et de la compétition malsaine, ou que Roland-Garros serait mieux en banlieue, à Versailles ou à Marne-La Vallée, comme il avait été envisagé. Ce n’est pas mon sentiment. Au même titre que le Louvre ou la tour Eiffel, les Internationaux de France font partie de l’attractivité de Paris, dont nul n’a intérêt à se priver, si l’on veut les moyens d’une métropole plus équitable et redistributrice. Et Paris n’est pas New York où l’US Open a pu être déplacé sans risque au fin fond du Queens. Ni le découpage administratif, ni le réseau de transports collectifs, ni surtout la culture de la centralité, ne sont ici favorables à un tel transfert. L’histoire commande que Roland-Garros reste à Auteuil.

Surgit alors une controverse sur les valeurs esthétiques de l’architecture et de la nature dans la cité. Les admirables verrières de Formigé auront-elles à souffrir de la proximité d’un court semi-enterré de 5 000 places, ou au contraire seront-elles valorisées par de nouvelles serres au design contemporain, et leur ouverture à un public plus large ? Va-t-on gagner en verdure et en plantations ce que l’on aura perdu en sanctuarisation du site des serres d’Auteuil ? Et les aménagements conçus par Marc Mimram et Michel Corajoud, dont on peut voir un premier exemple dans le bâtiment du Centre national d’entraînement de la Ligue de Tennis porte Molitor, sont-ils à la hauteur des ambitions ? Toutes questions pertinentes, que ni les hommes de l’art, ni les tribunaux, ne sont habilités à trancher définitivement. Comme toujours, en matière d’urbanisme, c’est l’usage et le temps, qui feront la différence, si le projet vient à son terme.

Dialogue de sourd entre la Mairie de Paris et la Ligue Française de Tennis

Mais il est un point où le doute n’est pas permis : en zone dense, il est toujours préférable, chaque fois que cela est possible, d’ajouter des fonctions par création de sol urbain, plutôt que de substituer des fonctions les unes aux autres. C’est là que le projet actuel est incontestablement mauvais dans la logique même de ses promoteurs. Au lieu de se donner toutes les chances d’un agrandissement durable et suffisant sur la couverture des infrastructures autoroutières qui jouxtent le site actuel (entrée de l’autoroute A13 et périphérique), on préfère accumuler tous les handicaps et tous les dangers :
extensions morcelées, périodiques, et notoirement sous-dimensionnées :
- usages « sociaux » méprisés : stade scolaire Hébert sacrifié au profit du Centre national d’entraînement, promenades dans le jardin des Serres compromises, au moins pendant la durée du tournoi ;
- soupçon, peut-être pas complètement infondé, de vouloir à terme, récupérer l’ensemble du jardin des Serres ;
- enfin, cerise sur le gâteau, pour vouloir économiser le surcoût de la couverture autoroutière, dont l’excès reste à prouver, un chantier arrêté, un tournoi à la peine pour des années, des dédits de crédits que l’on imagine.
Un véritable non-sens.

L’extension de Roland-Garros est symptomatique du mal français. Pour une décision nécessaire, un acteur politique, la Mairie de Paris, qui, de peur de perdre un de ses joyaux, n’a pas eu le courage de convaincre son partenaire de la seule solution qui s’imposait (la couverture des voies autoroutières), et s’arc-boute maintenant sur un mauvais projet. Un acteur privé, la Ligue Française de Tennis, de ceux dont on dit maintenant qu’avec les financiers ils « fabriquent » la ville, qui joue « petit bras » pour un enjeu qui est aussi capital pour son avenir que pour le rayonnement de Paris. Il est encore temps que chacun se ressaisisse et comprenne, les uns et les autres dans leur rôle, où est l’intérêt collectif.