Les sept rescapés de la filière djihadiste de Strasbourg encourent jusqu’à dix ans de prison. | BENOIT PEYRUCQ / AFP

Sabine Faivre se prend la tête dans les mains. En attendant qu’on lui apporte une carte de la Syrie, la présidente du tribunal tourne les pages du dossier de la filière djihadiste de Strasbourg en secouant la tête. « Je ne comprends pas bien. » Dates, lieux et groupes rebelles se mélangent. Le chaos syrien a fait son entrée, mercredi 1er juin, dans la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

Pourtant, elle avait pris soin d’ouvrir l’audience en exposant la chronologie de ce mois de décembre 2013. Passage de la frontière des dix Alsaciens ; prise en main par l’Armée syrienne libre (laïque) ; arrivée dans le hangar de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) ; camp d’entraînement. « Pour arriver à ça, il m’a fallu un travail considérable. » « Imaginez dans leurs têtes à l’époque », rétorque un avocat de la défense.

Des heures de recherches, de lecture d’auditions, de recoupes et patatras. La réalité des sept prévenus est venue souffler sur le dossier annoté de la présidente.

Torture et chocolats

Car la bande de copains est entrée en Syrie « au moment où il ne fallait pas », résumait Radouane Taher lundi, au premier jour du procès. Soit peu de temps avant le début des hostilités entre l’EIIL et son rival djihadiste, le front Jabhat Al-Nosra, la branche d’Al-Qaida en Syrie. En quittant la France en décembre 2013, eux résument le conflit à deux camps : d’un côté la rébellion, de l’autre le régime de Bachar Al-Assad. L’Etat islamique n’existe pas encore. Quant à son ancêtre, l’EIIL ? « Inconnu pour moi au bataillon » à ce moment-là, affirme Karim Mohamed-Aggad. Alors, rejoindre ce groupe ou un autre, peu leur importe : ils suivront Mourad Fares, alors en Syrie depuis six mois, où qu’il soit. « Les yeux fermés. »

La défense aurait voulu poser des questions à celui qui est désormais incarcéré et considéré comme l’un des principaux recruteurs de djihadistes français. Pas nécessaire, pour le procureur. Trop tard, pour la présidente. Il faudra se contenter de la lecture de ses déclarations, contenues dans le dossier.

Deux jours de maltraitance que, « par pudeur », le prévenu ne souhaite pas décrire.

Retour à la frontière syrienne et première surprise pour les Strasbourgeois. Le Savoyard n’est finalement pas là pour les accueillir. Il viendra les rassurer quelques jours plus tard, avec des chocolats et un téléphone pour joindre leurs proches. Bientôt, leur assure-t-il, ils pourront le rejoindre. Il est en train de monter une katiba (« bataillon ») indépendante de Français, mais le projet n’est pas mûr. Les dix copains restent donc au sein de l’EIIL, auquel Fares appartient encore.

Et les ennuis commencent vraiment. Pour Miloud Maalmi d’abord, qui tente d’échapper au centre d’entraînement en prétextant une maladie. Il subira deux jours de « maltraitance » qu’il aimerait ne pas avoir à décrire de vive voix à l’audience. « Par pudeur. » La présidente lit donc sa déposition. Coups. Excréments dans la bouche. Ejaculation en plein visage. « C’est ça », acquiesce sobrement le prévenu, mains dans le dos et dos à la salle.

« Comme des clampins »

La présidente s’étonne de leur propre surprise. Après tout, n’avaient-ils pas vu pire sur les vidéos de propagande ? Ce n’est pas l’existence de la torture qui les a décontenancés, répond Mohamed Hattay. Mais qu’elle vienne de la part de « ceux qu’on était venus aider ».

Enseignement religieux, sport, maniement des armes… Leur entraînement prend fin au bout de deux semaines. Entre-temps, Mourad Fares a rejoint Al-Nosra. « On s’est retrouvés comme des clampins », lâche Radouane Taher. Et les choses s’accélèrent. Deux d’entre eux, les frères Boudjellal, sont tués dans la nuit du 9 au 10 janvier 2014, à un check-point. Le lendemain, ils apprennent la mort d’un autre Français. Certains pensent alors qu’il s’agit de Miloud Maalmi.

« Tout s’est effondré comme un château de cartes », capitule Mokhlès Dahbi. Les rescapés rentrent en Alsace en ordre dispersé, entre février et avril 2014. Sauf le dernier, Foued Mohamed-Aggad. L’un des kamikazes du Bataclan.