Des militants CGT lors d’une manifestation Gare de Lyon le 26 avril à Paris. | ELLIOTT VERDIER / AFP

A l’assemblée générale des cheminots de la Gare de l’Est, un point préliminaire retarde le début de la réunion, prévue à 11 heures : la présence d’un journaliste du Monde, qui fait débat. SUD-Rail est pour, la CGT est contre. Pour décider si l’on peut rester ou non, un vote à main levée est organisé à toute hâte. Le comptage prend du temps. Tous les salariés attendent le résultat, debout, rassemblés au bout de la voie 2 de la gare. Certains s’impatientent. « On s’en fout, c’est pas ça l’important, aujourd’hui », crie un homme dans la foule.

Comme ces agacements ne l’indiquent pas, ce jeudi 26 mai consacre l’union des syndicats de cheminots à Paris-Est. La CGT-cheminots, SUD-Rail et Force Ouvrière ont convoqué ensemble une assemblée générale, ce qui n’était pas arrivé depuis le début de la mobilisation contre le projet de loi El Khomri. Il s’agit pour les salariés de la SNCF d’affirmer leur opposition au texte gouvernemental, qui ne les concerne pas directement, et de peser sur les négociations en cours entre patronat et syndicats qui sont censées accoucher, début juillet, d’une nouvelle convention collective du ferroviaire. Le principe d’une grève reconductible à partir du 31 mai à 19 heures doit être voté, comme dans le reste des secteurs.

Après un vote de l’assemblée autorisant notre présence, Patrick Belhadj, membre de la direction du secteur de Paris-Est à la CGT-Cheminots, embraye sur le sujet du jour :

« On a deux choses à obtenir. D’abord le retrait de la loi El Khomri. Il n’est pas question que la CGT s’assoie autour d’une table pour renégocier. Cette loi permet l’inversion de la hiérarchie des normes et c’est cela que nous refusons. [..] Ensuite, un décret socle de haut niveau. »

Manque de cohésion syndicale

Comme l’essentiel des salariés présents, le syndicaliste craint que la direction de la SNCF profite de la loi travail et des négociations internes pour imposer des conditions de travail plus difficiles. Tout en sachant que s’il n’y a pas d’accord avec la SNCF, ce sera à un décret ministériel de déterminer le régime de travail des cheminots. « Avec le projet de décret socle actuel, je perdrais 19 jours de salaire », indique Basile Pot, chef-départ de 47 ans et militant SUD.

Face à cette situation, certains déplorent le manque de cohésion des syndicats. Entre SUD-Rail qui s’est mis en grève dès le 18 mai et la CGT qui n’a appelé à la grève reconductible que mardi 24 mai, la méfiance est perceptible. « Les militants de base ne comprennent pas qu’il n’y ait pas eu d’appel à la grève reconductible avant », explique Mathieu, un aiguilleur de 29 ans, qui a quitté la CGT il y a six mois pour rejoindre SUD-Rail. « Ceux qui ont construit un mouvement de grève depuis une semaine n’apprécient pas forcément que la CGT arrive et veuille diriger le mouvement », croit savoir Damien Leboeuf, un aiguilleur de 28 ans, qui n’est pas syndiqué.

Le jeune homme fait par contre partie du « comité de mobilisation » créé il y a quelques jours pour dépasser ces querelles intestines. Ce collectif rassemble des membres de différents syndicats, ainsi que des cheminots non encartés. Maintenant que la CGT a appelé à la grêve reconductible, d’aucuns s’interrogent sur son devenir. Serge, un quinquagénaire qui a longtemps travaillé pour PSA, se veut solennel dans sa prise de parole : « Les étiquettes, on doit les mettre dans nos poches. Moi je n’ai rien contre les syndicats, je suis à la CGT. Mais ce n’est pas à eux de nous dire quoi faire. Les grévistes, on les convainc en tant que salariés, pas en tant que syndiqués. » Sans doute piqué au vif, un militant CGT situé à une dizaine de mètres l’interrompt. « Y’en a marre des gauchos », crie-t-il. « Ce n’est pas à toi de parler. Le comité doit continuer à vivre ! », rétorque Serge avant de poser le micro. Longue acclamation, entrecoupée de chants tels qu’« on va gagner » ou « tous ensemble, tous ensemble ».

Quand le calme revient, Patrick Belhadj demande à reprendre le micro. « Si les raffineries sont à l’arrêt, c’est grâce aux organisations syndicales. Alors je ne veux pas entendre de discours anti-CGT. Ne décrédibilisez pas l’action syndicale, les médias s’en chargent. », tonne le syndicaliste. Certains applaudissent, d’autres commencent à quitter l’AG. Il est bientôt 13 heures. On passe rapidement au vote sur la grève reconductible. Elle est adoptée à l’unanimité, moins une voix. « Merci, on va pouvoir griller les merguez », conclut un militant .