« L’hôpital doit avoir la modestie de sa puissance, et l’humilité requise pour mettre ses atouts au service de la ville » (Photo: centre hospitalier de Pontchaillou, à Rennes). | DAMIEN MEYER / AFP

Par Renaud Dogimont, directeur général du Centre Hospitalier de Douai

Depuis quelques semaines, un débat sur la fermeture de lits d’hospitalisation se fait jour. Il succède aux revendications qui ont accompagné la loi de santé et masquent l’état de notre santé collective.

De multiples acteurs revendiquent un rôle essentiel dans l’efficacité de notre système de santé. La collaboration entre professionnels de santé de ville et hospitaliers est inégale. L’impact de la qualité relationnelle pour le patient est pourtant cliniquement démontré. Ruptures du parcours de soins, retours au domicile mal préparés, ordonnances non concertées… les situations abondent et angoissent le malade dans des circonstances personnelles qui le fragilisent.

Cependant, la rupture des canaux de communication produit des effets bien plus importants sur la santé collective, dont le plus visible se manifeste aux urgences. Attentes interminables, saturation psychique engendrent l’impression faussée d’une médecine dégradée.

Jamais les inégalités face à la santé n’ont été aussi criantes. A 35 ans, un cadre peut espérer vivre encore 49 ans, contre 42 ans pour un ouvrier. L’écart entre territoires s’accentue. Un apartheid sanitaire invisible conforte les inégalités sociales, économiques et territoriales, tant santé et employabilité sont étroitement corrélés. Les citoyens les plus pauvres ne peuvent sortir du cercle vicieux du chômage subi : faute de soins, ils n’auront jamais un état de santé leur permettant de prétendre à un emploi. Dans le même temps, la précarité financière, l’absence de transports collectifs ou individuels rendent impossible le recours aux soins.

Aucune solution n’est envisageable sans changer de paradigme. Pour relever ce défi humain, les organisations hospitalières doivent évoluer. Il faut sortir des clivages coût/efficacité, public/privé, ville/hôpital. La crise sanitaire profonde que traverse notre pays nécessite une révolution copernicienne.

La seule stratégie pérenne pour soigner les maux de nos concitoyens est de décloisonner l’hôpital et de renforcer sa fonction préventive.

Rompre avec l’hospitalo-centrisme

Un projet collectif humaniste peut en effet apporter à brève échéance des changements considérables. La stratégie innovante menée sur le Douaisis en est l’illustration. Ce territoire de 250 000 habitants au sein de la région Hauts-de-France présente des indicateurs de santé dégradés qui en font le 343e des 348 territoires de santé de France. Le nombre de médecins et de professionnels de santé pour 100 000 habitants est de 1 001 sur le Douaisis, contre 1 290 au niveau national.

En 2015, médecins et direction du centre hospitalier (CH) de Douai sont allés à la rencontre des professionnels de ville. La confraternité est sortie renforcée de ce contact direct. Les 300 médecins, infirmières libérales, pharmaciens d’officine qui les ont accueillis ont permis que la relation ville-hôpital ne soit plus un champ de polémiques, mais un terrain de dialogue. Les Unions régionales des professionnels de santé du Nord-Pas-de-Calais plébiscitent cette démarche innovante qui associe les acteurs libéraux à un projet médical de territoire.

Avec ses 1 000 partenaires libéraux, le CH de Douai a co-construit un plan d’action-qualité innovant, fait de réalisations concrètes : 18 lignes d’accès direct aux spécialistes hospitaliers depuis le cabinet du médecin traitant, un annuaire croisé médecins de ville/médecins hospitaliers pour fluidifier les échanges médicaux et faciliter le retour au domicile du patient. Le comité mixte ville-hôpital, composé de 70 professionnels, conçoit les courriers d’entrée en hospitalisation et de retour à la ville… la liste est longue de ces réussites collectives qui amènent deux mondes que les contraintes sociétales et budgétaires avaient éloigné à ne faire qu’un.

L’émergence d’un projet fédérateur implique que l’hôpital se garde de son démon intérieur, l’hospitalo-centrisme, qui cause l’échec de projets novateurs, mais pensés à la place des acteurs de terrain. L’hôpital doit avoir la modestie de sa puissance, et l’humilité requise pour mettre ses atouts au service de la ville.

Une structure d’aménagement du territoire en santé

Le second travers hospitalier est le tout curatif. Or, pour faire reculer durablement la maladie, l’hôpital doit agir sur les déterminants de santé, en contact étroit avec les élus et les acteurs de la société civile.

Le nouveau rôle de l’hôpital se situe donc aux côtés des acteurs associatifs, développant l’éducation populationnelle à l’utilisation du système de santé et le dépistage des maladies chroniques (insuffisance respiratoire, diabète, maladies cardio-vasculaires…). L’hôpital de demain est une structure d’aménagement du territoire en santé qui se préoccupe de ses concitoyens en amont du soin.

Le centre hospitalier de Douai prend soin des quartiers fragiles, des zones rurales. Il clarifie le fonctionnement d’un service d’urgences, les pathologies qui touchent nos concitoyens. Il soutient les soins de ville, pivots essentiels du soin coopératif. Il est un acteur de prévention, inscrit dans le quotidien du citoyen au même titre que les centres communaux d’action sociale et les restos du cœur.

En 2015, le CH de Douai a signé deux contrats de ville. Il s’est engagé aux côtés des maires de 64 communes pour agir dans la politique de la ville. Associés au diagnostic de l’état de santé de leur population, et aux solutions à apporter, les responsables politiques du Douaisis ont investi le champ de la santé publique dans sa globalité et soutenu l’action hospitalière pour réduire les inégalités sociales et territoriales en santé. C’est le concours financier des élus du territoire du Douaisis et des services de l’Etat qui a rendu cette démarche possible.

Facteur d’intégration républicaine

Les médecins hospitaliers se déplacent à présent dans les associations de quartiers, où toutes les spécialités médicales sont accueillies. Praticiens et infirmière en santé publique dépistent les maladies chroniques, qui touchent 15 millions de Français et engendrent 90 milliards d’euros de dépenses, pour partie parce que les populations précaires n’ont pas accès aux soins.

Santé et économies peuvent donc s’unir au service de l’intérêt supérieur du patient. Pour agir durablement sur l’état de santé des plus fragiles, faisons confiance à nos professionnels de santé. C’est de leur confraternité que naîtra une santé publique de territoire, premier facteur d’intégration républicaine et de développement économique.