Un Eurocopter EC145 "Dragon" de la sécurité civile, à Valenton, lors de l’exercice Sequana, le 12 mars. | GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

En mars, Paris s’est préparée à la crue du siècle. Quelques semaines à peine après cet exercice – baptisé « EU Sequana 2016 » –, c’est une crue bien réelle à laquelle les habitants des rives de la Seine, entre autres, ont dû faire face. Les participants ont tout juste eu le temps de faire un premier bilan en mai, avant de mettre en pratique ce qu’ils venaient de tester. En moins de dix jours, les intempéries ont fait quatre morts, vingt-quatre blessés et des dégâts dont le coût pourrait dépasser le milliard d’euros.

Dans 782 communes, l’état de catastrophe naturelle a été déclaré. Notamment à Ablon-sur-Seine, petite ville du Val-de-Marne, dont les deux tiers du territoire sont situés en zones inondables et près de la moitié de la surface a été touchée. On y connaît bien les crues : celle de 1955, celle de 1982, et aussi celle, moins importante, de 2001. Alors on était très motivés pour participer à Sequana.

Lors de l’exercice Sequena, des établissements publics et privés, mais aussi des collectivités territoriales, et tous les niveaux de prise de décision (départemental, régional, national et européen) ont été sollicités. Ils ont participé à un exercice de gestion de crise de grande ampleur, sur la base d’un scénario simulant une crue majeure en Ile-de-France, fondé sur les crues historiques et dont le pic correspondait à la crue de 1910.

A la suite de l’exercice de simulation, une soirée de prévention des inondations a été organisée à la mairie d’Ablon et le film documentaire d’anticipation Paris 2011, la grande inondation a été diffusé. On y a surtout vu les personnes les plus âgées, celles qui se souvenaient des précédentes crues et s’étonnaient qu’on les oublie aussi vite… C’était le mercredi 25 mai et « on pensait être sortis de la zone de risque », soit la période où sévissent les crues, habituellement. Huit jours plus tard, douze rues proches des bords de Seine étaient submergées, des cygnes s’y baignaient, et plusieurs centaines de foyers étaient privés de courant.

A Ablon-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, douze rues sur les bords de Seine ont été inondées début juin. | L. Pace

« On a compris à quel point on devait anticiper »

Selon Anne Gausset, directrice générale des services municipaux, « grâce à Sequana, beaucoup de choses se sont faites naturellement. L’exercice nous a aussi permis de savoir à quel moment on doit, par exemple, enclencher le processus pour une évacutation... Parce qu’il faut toujours décider avec 24 ou 48 heures d’avance ». Mercredi 1er juin, la Seine n’avait pas encore débordé à Ablon, mais comme des coupures de courant étaient à craindre les jours suivants, la fermeture de trois des quatre écoles de la ville a été décidée à partir du vendredi. La mairie a commencé à publier des bulletins quotidiens et a aussi enclenché le plan de circulation, disposé des barrières, prévu les personnes pour aller vérifier et les déplacer toutes les trois heures. Tout cela avait été testé sur table pendant Sequana.

Les agents de la ville ont aussi acquis une expérience sur les crues et sur la manière de les surveiller. Selon Mme Gausset, « on a appris les niveaux par exemple R 0.6, correspondant à 60 % du débit de la crue de 1910 et ce que cela entraîne chez nous. On parle maintenant un langage commun ». On sait à Ablon qu’à un certain niveau, on passe rapidement d’une ville quasi indemne à plus de la moitié de la ville inondée, dont tous les services publics. « On a compris à quel point on devait anticiper », résume-t-elle. Heureusement, la semaine dernière, l’eau a cessé de monter juste avant le stade où l’eau recouvrirait toute la ville.

La culture du risque, 30 % du problème

Sequana s’est déroulé sur deux semaines. La première, pour simuler la phase de crue, la seconde, sur la décrue, le retour à la normale et la sensibilisation du public. Pour Carole Dautin, de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, qui a piloté la conception du scénario et suivi la simulation, « il faut absolument mettre en place une culture du risque, pour que les gens sachent réagir ». Selon elle, « c’est un point fondamental du projet ».

D’autant plus que la France est en retard sur ce point. « Dans son rapport de 2014, l’OCDE pointait le problème du doigt et recommandait déjà de faire de la culture du risque une priorité pour les actions de prévention à venir », note la géographe Magali Reghezza, selon qui « des opérations de sensibilisation utiles sont menées, comme Plouf, à destination des scolaires, mais elles sont encore insuffisantes ».

A la préfecture de Paris, d’où l’exercice a été piloté, on estime que pendant une crue, 30 % du problème est lié au manque de culture du risque : il faut déjà éviter que les gens ne causent des soucis supplémentaires par méconnaissance des règles à suivre. De plus, quand l’eau monte, c’est le réseau électrique qui tombe en premier et entraîne les autres par effet domino. L’absence d’électricité rend les communications difficiles, donc mieux vaut former la population en amont.

Des cartes de simulation d’inondation

Les équipes de la mairie d’Ablon avaient participé à la première semaine de l’expérience, pour mettre à l’épreuve leur plan communal de sauvegarde (PCS) pour la gestion de la crise, en cours de rédaction. Les Ablonais n’étaient pas tout à fait débutants, ils avait déjà participé à un exercice avec le département en 2014. La première fois, trois personnes y avaient pris part. Cette fois, une trentaine d’agents, soit le tiers des effectifs, ont « joué », deux fois par jour, et testé sur table tous les points du PCS. « Ce document est une obligation légale, on peut même le trouver tout fait sur Internet, mais cela ne sert à rien. Le jour où on a besoin d’une échelle, il faut vraiment savoir où elle est », note la responsable.

Autre différence de taille : le matériel utilisé. En 2014, ils n’avaient pas de cartes et dessinaient au Stabilo les zones qu’ils estimaient inondables à partir d’un certain niveau de crue. En 2016, des fonds cartes de simulation d’inondation – « essentiels » selon Anne Gausset – ont été créés, avec le niveau d’eau estimé pour chaque route, chaque parcelle, accompagnés de la couverture réseaux, des zones de fragilité électrique pour chaque niveau de risque… afin de pouvoir s’organiser en conséquence.

« Encore beaucoup d’incertitudes sur qui fait quoi »

Pour Carole Dautin, il est encore trop tôt pour tirer un bilan de Sequana mais « des gens se sont rencontrés, ont travaillé ensemble ». Et finalement, « même si le scénario n’était pas le même, ils ont appelé les mêmes personnes. »

Malgré tout le bien que pense Mme Gausset des exercices de gestion de crise expérimentés, elle ne voit pourtant pas d’amélioration côté coordination : « peut-être au niveau du département, mais pas au nôtre ». « A l’issue de l’exercice, il restait beaucoup d’incertitudes sur qui faisait quoi. Et c’est toujours le cas », estime-t-elle, témoignant « il n’y avait pas d’infos de la préfecture à part les deux bulletins quotidiens, avec des consignes. Je viens d’ailleurs d’apprendre que les pompiers avaient mené quatorze interventions pendant la crue, je n’étais au courant que d’une seule. On m’a dit que l’armée patrouillait aussi pour sécuriser les habitations, je ne les avais pas vus… »

Parmi les participants à Sequana, de nombreux établissements sont aussi passés vite à la pratique. Parmi les actions testées : le RER C a fermé toutes ses gares parisiennes, le musée d’Orsay a dû mobiliser du personnel pour mettre à l’abri les œuvres menacées par la montée des eaux, Vinci a fermé le duplex A86…

Pour le général Frédéric Sépot, chef d’état-major de la zone de défense Ile-de-France, « les événements des derniers jours sont catastrophiques, mais constituent aussi un rappel à l’ordre Jusqu’à la semaine dernière, les Parisiens et beaucoup de Franciliens avaient oublié que la Seine pouvait déborder, on avait perdu cette notion de risque. On ne pourra pas l’empêcher, mais il faut s’y préparer ».

Le plan Neptune en question

L’armée a été appelée à la rescousse à plusieurs endroits, comme sur l’A10, qui a été inondée et fermée dans les deux sens aux environs d’Orléans. Mais même si la Seine a dépassé de plus de 6 mètres son niveau habituel vendredi 3 juin, le plan Neptune n’a finalement pas été activé. Ce dispositif, soumis au feu vert du gouvernement, aurait permis de déployer jusqu’à 10 000 militaires dans le pays, pour participer aux secours.

Pendant l’exercice de simulation, ce plan avait été déclenché. En effet, comme l’explique Carole Dautin, de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, « pour faire appel au mécanisme d’aide européen, il fallait justifier notre demande, et avoir déjà fait appel à toutes les forces nationales. » Mais depuis la conception du scénario de l’exercice il y a deux ans, les attentats du 13 novembre et l’instauration de l’état d’urgence avaient changé la donne. Ce point a donc été discuté pendant l’exercice en mars. « Comment pourrait-on déclencher ce plan alors que nous sommes déjà en état d’urgence depuis plusieurs mois ? Comment l’adapter ce plan au contexte actuel ? On n’a pas encore trouvé de réponses. »

Selon la géographe Magali Reghezza, « il n’était en tout cas pas nécessaire d’engager la force car la décrue était annoncée à moins de trois jours. Si on avait été dans une configuration de crue centennale, la question de la force Neptune se serait posée de façon plus forte ». En cas d’une telle crue, on devrait faire appel aux forces européennes, qui ont participé à Sequana mais on ne sait toujours pas vraiment dans quelle mesure le déploiement de militaires français serait effectué. La chercheuse de rappeler : « en 1910, il y avait eu 100 000 militaires mobilisés mais à l’époque, il y avait une armée de conscription qui n’existe plus avec la suppression du service militaire ».