Plusieurs responsables de droite ont remis cette idée sur la table mardi, après le meurtre de deux fonctionnaires du ministère de l’intérieur à Magnanville. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Un couple de fonctionnaires du ministère de l’intérieur a été tué dans la nuit du lundi 13 au mardi 14 juin à Magnanville (Yvelines). Le meurtrier s’est réclamé de l’organisation Etat islamique, qui a, en retour, revendiqué le double assassinat par son organe de communication. Le meurtrier a été abattu par des policiers du RAID dans la nuit, alors qu’il était retranché dans le domicile de ses victimes, et après l’échec des négociations.

Cet homme, Larossi Abballa, 25 ans, était connu pour de nombreux faits de droit commun (vol, recel, violences…) qui lui ont valu une première condamnation en 2011. Il avait ensuite été condamné en 2013 à trois ans de prison, dont six mois avec sursis, pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes ». Il faisait également l’objet d’une « fiche S » (sûreté de l’Etat).

Plusieurs responsables de droite ont dénoncé le fait qu’il ait pu commettre son crime en étant déjà connu et fiché. Ils ont ainsi profité de l’occasion pour remettre sur la table une proposition déjà évoquée plusieurs fois ces derniers mois : l’enfermement des djihadistes présumés. Mais une telle mesure serait-elle applicable ?

CE QUE PROPOSE LA DROITE

« Ce qu’il faut faire, c’est ce que je réclame, j’ai déposé de multiples amendements dès 2012 pour qu’il y ait des centres de rétention, très clairement, comme pour les malades psychiatriques », a déclaré le député Les Républicains Eric Ciotti sur iTélé. Selon lui, environ « un millier de personnes » pourraient être concernées par sa proposition :

« Il y en a quelques centaines qui présentent une dangerosité maximale. Il y a 11 000 personnes dans le FSPRT […] Il y a 10 500 personnes “fichées S”. Il y en a là-dedans environ un millier qui sont suivis par la DGSI qui sont ce qu’on appelle “le haut du spectre”, qui représentent une dangerosité forte. Ces personnes aujourd’hui, il doit y avoir un principe de précaution, on doit les placer dans une situation de rétention. Ils ne peuvent plus être en liberté, parce qu’ils constituent une menace. »

Laurent Wauquiez, qui a aussi pris position en ce sens par le passé, l’a rappelé sur Twitter :

POURQUOI C’EST INAPPLICABLE

Le gouvernement a justement saisi le Conseil d’Etat de ces questions après les attentats à Paris et à Saint-Denis en novembre 2015. Ce dernier a rendu dans la foulée un avis consultatif, publié le 23 décembre 2015, qui émet de sérieuses réserves sur l’application d’une telle mesure. Trois questions, précisément, ont été posées.

La première concernait des « personnes radicalisées », qui présentent des « indices de dangerosité », mais qui n’ont jamais été condamnées pour des faits de terrorisme. « La loi peut-elle autoriser une privation de liberté des intéressés à titre préventif et prévoir leur rétention dans des centres prévus à cet effet ? » a demandé le gouvernement.

C’est précisément ce cas de figure qu’envisagent MM. Ciotti et Wauquiez. Les deux élus entendent en effet se baser sur deux fichiers, le fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) et les fiches S (pour sûreté de l’Etat), qui répertorient des individus potentiellement dangereux, mais jamais jugés.

La réponse du Conseil d’Etat est catégorique : selon la Constitution française et la Convention européenne des droits de l’homme, « il n’est pas possible d’autoriser par la loi, en dehors de toute procédure pénale, la rétention, dans des centres prévus à cet effet, des personnes radicalisées ». La mesure est inapplicable.

Ce qu’il serait éventuellement possible de faire

LIMITER LES LIBERTÉS DES INDIVIDUS « RADICALISÉS » ? POSSIBLE, MAIS…

La haute juridiction a également examiné deux autres possibilités que des centres de rétention administrative pour les personnes radicalisées et considérées comme dangereuses :

L’assignation à résidence. Hors période d’état d’urgence, imposer un « confinement durable dans un lieu déterminé » serait « assimilable à une détention » et donc « impossible en dehors de toute condamnation ou contrôle judiciaire lié à une procédure pénale ». Seule une assignation à résidence limitée pourrait être envisagée, en restreignant la circulation des individus, mais en leur laissant « une liberté de mouvement conciliable avec une vie familiale et professionnelle normale ». Le tout avec des contraintes inférieures à celles prévues par la loi sur l’état d’urgence, qui plafonne l’assignation à domicile à une plage horaire de « douze heures par vingt-quatre heures ».

Le bracelet électronique. Une telle surveillance pourrait être envisagée, sous conditions. Il faudrait notamment « l’accord de l’intéressé » pour pouvoir l’appliquer, explique la juridiction. En effet, « le Conseil constitutionnel [a] considéré pour une mesure comparable prévue par le code de procédure pénale que le consentement de l’intéressé faisait partie des précautions prises par le législateur pour garantir qu’aucune rigueur non nécessaire ne serait imposée aux personnes concernées ».

DES CENTRES POUR LES TERRORISTES DÉJÀ CONDAMNÉS ? POSSIBLE, MAIS…

Enfin, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le cas de figure où seraient visées non pas des individus qui présentent des « indices de dangerosité » mais des personnes qui auraient « déjà fait l’objet d’une condamnation à une peine d’emprisonnement pour des actes de terroristes ». Serait-il possible, dans cette situation seulement, d’envisager une rétention dans des centres spécialisés ? Oui, répond le Conseil d’Etat, à condition de remplir toute une série de conditions pour respecter les libertés individuelles. Et il ajoute deux limites qui restreignent fortement la portée du dispositif.

Premièrement, il serait réservé aux « personnes radicalisées condamnées pour un crime constituant un acte de terrorisme ». Larossi Abballa, condamné en 2013 pour « association de malfaiteurs en vue de préparer des actes terroristes », n’entrait pas dans ce cadre.

Deuxièmement, il ne pourrait concerner « des personnes condamnées avant la publication de la loi qui l’instituerait ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ». Difficile, donc, d’y voir la réponse à court terme défendue par certains élus de droite.