A gauche, le masque de théâtre japonais conservé au Musée Georges-Labit de Toulouse, à droite, la marionnette de Jacques Chirac aux « Guignols de l’info », sur Canal+.

Le hasard avait si bien fait les choses qu’il aurait été dommage de se priver du clin d’œil. Un sosie de Jacques Chirac hantera l’exposition qui lui sera prochainement dédiée au Musée du Quai Branly : il s’agit d’un masque traditionnel du théâtre japonais dont la ressemblance avec l’ancien chef de l’Etat est saisissante. Un comble pour ce fanatique de la culture japonaise.

L’intégration du masque dans l’accrochage s’est imposé à Jean-Jacques Aillagon, le commissaire de l’exposition, lors de sa préparation, il y a un peu plus d’un an. La photo de l’objet, prise par un visiteur du musée Georges-Labit, à Toulouse, et postée sur les réseaux sociaux, connaissait alors « une immense fortune sur Internet », résume celui qui fut le monsieur culture de Jacques Chirac tout au long de sa carrière (de la Mairie de Paris, où il dirigeait les affaires culturelles au poste de ministre de la culture sous sa présidence).

Un démon de farce

En mars 2015, en effet, les yeux se braquaient sur l’étonnant masque toulousain, et le conservateur du musée fut très sollicité par les médias pour expliquer l’origine de l’insolite objet. Il s’agissait d’un masque de théâtre en bois de l’époque d’Edo datant de la fin du XVIIIe siècle et rapporté à la fin du XIXe siècle à Toulouse par l’ethnologue Georges Labit.

S’il est alors présenté par le musée comme le masque représentant le démon Obeshimi, l’objet apparaît aujourd’hui dans le catalogue de l’exposition parisienne sous le nom de Buaku, sorte de caricature populaire d’Obeshimi : un démon comique fou et grimaçant. Les deux personnages font partie des plus de 130 types de masques du théâtre traditionnel japonais. Un répertoire utilisé indifféremment dans le théâtre nô (drame lyrique), kabuki (drame épique) et kyogen (farce). Le masque toulousain, référencé comme un masque kyogen, pouvait ainsi apparaître lors des intermèdes dans le théâtre nô.

Jean-Jacques Aillagon s’amuse de cette « rencontre providentielle entre la caricature de Jacques Chirac aux Guignols de l’info qui l’avait d’ailleurs rendu sympathique pendant la campagne présidentielle de 1995 , et ce caractère du buaken ». Il a en réalité choisi de mettre deux autres exemplaires du personnage dans l’exposition (l’un issu d’une collection privée, l’autre prêté par Musée des Confluences à Lyon), « pour montrer que ce n’est pas une exception », même si la ressemblance du modèle toulousain est particulièrement « frappante ».

« Nippolâtrie »

Ayant habité à Toulouse, Jean-Jacques Aillagon connaissait ce masque avant sa soudaine notoriété. Il « amusait beaucoup Jacques Chirac », confie-t-il. Le musée toulousain en a depuis presque fait une mascotte, et a d’ailleurs annoncé sur Twitter le départ pour Paris de sa curiosité :

Dans l’exposition « Jacques Chirac ou le dialogue des cultures », les trois masques rendus iconoclastes se glisseront dans la section consacrée à la « nippolâtrie » de Jacques Chirac, précise le commissaire. Une passion rendue publique en 1986, lorsque le maire de Paris organisa la « Saison de Tokyo », avec un tournoi de sumo au palais omnisport de Paris-Bercy et des représentations de kabuki au théâtre Mogador.

La prolifération de masques s’arrêtera-t-elle là ? Le commissaire n’exclut pas, sur le ton de la plaisanterie, d’en distribuer des versions en carton aux visiteurs de l’exposition... L’esprit du démon comique va-t-il infiltrer la solennité de cet hommage imaginé du vivant de l’ancien chef de l’Etat par l’un de ses fidèles pour célébrer les 10 ans du musée qu’il a contribué à créer ? A vérifier le jour de l’inauguration, le 20 juin, où le musée dédié aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques doit être rebaptisé Musée du quai Branly-Jacques Chirac.