Jamel Debbouze au Festival de Cannes en mai 2013. | REUTERS/JEAN-PAUL PELISSIER

Alors que la sixième édition du Marrakech du rire s’est terminée dimanche 5 juin, Jamel Debbouze revient sur ce festival, sur le rôle de « haut-parleur » des humoristes en ces temps de peur, mais aussi sur ses projets et la polémique liée à ses déclarations sur la composition de l’équipe de France de football.

Le festival s’achève, mais, contrairement aux précédentes éditions, il n’y a pas eu de parade, seul moment gratuit et ouvert à tous, pourquoi ?

C’est mon grand regret. Nous n’avions pas le budget pour la parade. Chaque année, on jongle. Les gens pensent que ce festival s’organise facilement, que c’est le roi du Maroc qui paye… toutes sortes de fantasmes circulent. En réalité, tous les ans on se bagarre et nous ne sommes jamais sûrs de pouvoir refaire une nouvelle édition. Je tiens absolument à continuer à proposer une animation gratuite. Je vais me venger l’année prochaine en fiançant le Marrakech du rire au carnaval de Rio. J’aime les couples mixtes ! Et la joie de vivre. Nous croiserons tous les métiers et ferons un carnaval de Marrakech pour ne plus avoir d’excuse et ne plus jamais annuler la parade.

Le gala de clôture s’est terminé cette année sur un sketch parodiant le film Retour vers le futur et imaginant un monde où « il n’y a plus d’Arabes ». Pourquoi ce choix ?

Il s’est quasiment imposé à nous. On essaie de lier l’humour à l’utile. Les Arabes aujourd’hui, c’est un vrai sujet ! Puisque tout le monde en parle de travers, nous avions envie d’en parler en allant droit au but !

Lors de ce gala de clôture, pour la première fois, des drapeaux français et marocains étaient posés sur chaque siège afin que les spectateurs les agitent au début du spectacle, comme cela peut se faire dans les stades. Pourquoi ?

Pour appuyer encore davantage sur le fait qu’on est ensemble et qu’on ne peut pas faire autrement que d’être ensemble. Nous, les humoristes, avons un haut-parleur à notre disposition. Essayons de l’utiliser à bon escient en disant : ne nous faisons pas avoir par ce mauvais marketing, par cette peur outrancière qu’on essaie de nous vendre. Évidemment tout est flippant. On peut mourir de tout : d’un cancer, d’une grippe, d’une noyade dans la Seine ou d’un acte terroriste. En attendant, vivons de toutes nos forces.

Vous voulez dire : « arrêtons de chercher un bouc émissaire » ?

Cela fait quinze ans qu’on a ce sentiment. Depuis le 11 septembre 2001, j’ai vu nos rapports s’affaisser et j’ai ressenti le besoin de rassurer. Ce qui me fait le plus mal et me vexe le plus est qu’on soit, encore et encore, obligé de montrer patte blanche. Mais notre patte est marron ! Regardez Houda Benyamina, la réalisatrice qui a remporté la caméra d’or à Cannes avec son film « Divines ». Je la connais depuis trois ans, je la trouve incroyable. Sa petite sœur vient d’être admise au Conservatoire national d’art dramatique : c’était une victoire, une fête. Cela m’a touché. Pourquoi c’est si exceptionnel ? Pourquoi faut-il toujours qu’on en fasse quinze fois plus que les autres pour entrer dans les grandes écoles, pour accéder à l’élite ?

Rien ne progresse ?

Si ça progresse. On vit mieux que nos parents, on est davantage respecté et accepté qu’eux, on est allé plus loin qu’eux. Tout progresse mais il y a une appréhension. On trouve ringard et niais de faire la promotion de ce qui fonctionne. Je l’ai constaté lors de la tournée de promotion du film La vache [coproduite par l’humoriste]. La question qui revenait sans cesse était : « Vous ne croyez pas que c’est un peu trop naïf comme histoire ? » Or, la bienveillance existe, mais on préfère flipper, donner la parole aux extrêmes. « Jean-Marine Le Pen » a une tribune quand elle veut. Alors évidemment, cela fait peur. Pourtant, la France a tout ce qu’il faut pour que ça aille mieux. Il faut juste faire la promotion de ce qui va dans le bon sens. Évidemment, après les attentats, c’est dur d’être en joie. Mais je ne voudrais vivre dans aucun autre pays au monde que la France ; jamais de la vie.

Vous allez créer le Jamel comedy kids. Qu’est-ce que c’est ?

C’est la continuité du Jamel comedy club. Je voulais appeler cela « L’école des vannes ». Jacques Martin, ce sera moi ! Il y a une telle candeur, une telle force avec les enfants… Jouer, chanter, danser, c’est indispensable. Nous avons créé une page Facebook pour le recrutement et avons eu 250 000 retours !

Quelle chaîne diffusera cette nouvelle émission ?

Certainement Canal+. C’est intéressant ce qui se passe à Canal. À l’époque, lorsque je suis arrivé dans cette chaîne, c’était un Canal ouvert, tolérant, libre et désordonné. Il y avait dans les coulisses des gens de toutes les origines. Il ne faut pas qu’on oublie d’être des « oufs », de continuer à bousculer. Canal+ ne le fait plus, il faut qu’il renoue avec cela.

Vous militez depuis longtemps en faveur du développement d’ateliers d’improvisation théâtral dans les établissements scolaires. François Hollande est venu par deux fois vous soutenir, à Trappes et lors du trophée national en 2014. Qu’est-ce que cela a changé ?

Rien. Absolument rien. J’ai même eu le sentiment, à un moment, de me faire manipuler. Mais les choses vont bouger, le ministère de l’éducation nationale me l’a garanti. J’ai envie d’y croire, parce que je crois encore à la politique, à son rôle. Mais si rien ne se passe, je vais sérieusement déchanter.

Votre parole a du poids, on l’a vu ces derniers jours avec les réactions suscitées par vos déclarations dans France football sur l’absence de Benzema et Ben Arfa dans l’équipe de France pour l’Euro. Comment l’avez-vous vécu ?

Mal. J’ai été triste de voir les proportions que cela a pris. La vérité est qu’il s’agit d’un malheureux concours de circonstances. J’ai fait une interview au mauvais moment, davantage pour rendre service à un ami de France football que par envie de m’exprimer. Mais je n’ai pas l’habitude d’esquiver les questions. Quand le gamin de France football m’a interrogé, j’ai répondu spontanément, sans me soucier du moment où je le faisais. Je n’aurais jamais pensé que Cantona et Benzema fassent une sortie, je me suis retrouvé au milieu dans un mauvais timing. Mais je ne cherche pas d’excuses, j’assume.

Eric Cantona, vous, Karim Benzema, cela donnait pourtant le sentiment d’une concertation..

Il n’y a eu absolument aucune concertation. J’ai trouvé injuste que Ben Arfa ne soit pas en équipe de France et attristé, sportivement, que Benzema ne nous aide pas à remporter l’Euro alors qu’il vient de gagner la Ligue des champions. Mais Benzema et Ben Arfa sont deux sujets totalement différents. Je respecte la décision du sélectionneur et j’aurais dû fermer ma bouche. C’était maladroit et mal venu de ma part. Mais au-delà de tout cela, s’il y a eu tant de réactions, c’est que malgré tout il y a un sujet. Et ma parole n’y est pour rien. Il faut laisser passer l’Euro mais il faudra qu’on en rediscute un jour.