Gianni Torchio : « Je joue à “Kick Off” depuis vingt-six ans. » | Nicolas Krief pour Le Monde

« Merci », hoche poliment de la tête Gianni Torchio, avec la modestie du champion que l’on félicite pour sa troisième lucarne d’affilée. Ce Milanais de 41 ans, consultant environnemental dans le civil, était l’invité de l’éditeur The Digital Lounge, lors d’une journée de présentation à la presse de Kick Off Revival, imminent remake PlayStation 4 d’un des jeux de football cultes du début des années 1990, Kick Off 2.

Gianni est champion du monde en titre de sa madeleine de Proust « J’y joue depuis vingt-six ans, j’en avais 16 à l’époque, explique-t-il avec tendresse. Du jour où il est sorti, j’ai su qu’il me le fallait. J’ai pris toutes mes économies et je l’ai acheté sur Amiga [l’un des ordinateurs de jeu les plus populaires de l’époque]. Je n’ai jamais cessé depuis : même si j’ai joué à FIFA puis à Winning Eleven, la version japonaise de Pro Evolution Soccer, je revenais toujours à Kick Off, que je trouve plus drôle », lâche-t-il en envoyant un tir brossé dans nos filets.

Sortie en 1989, cette simulation de football conçu par Dino Dini, un programmeur anglais d’origine italienne, est l’une des plus influentes et des plus respectées. On lui doit d’avoir révolutionné le genre en introduisant une dimension technique et tactique inédite alors : le ballon ne colle plus au pied des footballeurs, et les équipes suivent des stratégies bien définies. « La meilleure, c’est le 4-3-3. Mais j’ai plusieurs enchaînements que je connais par cœur et entre lesquels j’alterne au coup d’envoi », détaille-t-il après un tir croisé ultraprécis.

« Comme un rassemblement de fans de Fiat 500 »

Depuis 2002, Gianni Torchio arpente les tournois de Kick Off 2, et le tournoi mondial, qui se déroule chaque année dans une ville européenne différente, de Dublin à Copenhague en passant par Dusseldorf. Il est le joueur le plus titré, avec huit finales jouées et quatre remportées. « A Kick Off, si vous cherchez le boss final, c’est moi », fanfaronne-t-il avec humour, après avoir converti un penalty en force.

Kick Off 2 Amiga goal compilation
Durée : 02:36

La prochaine édition aura lieu chez lui, à Milan, en novembre. « Ma femme me soutient énormément dans ma passion, elle connaît tous les autres joueurs et les apprécie, ce sont des amis, et c’est grâce à elle que ce tournoi va pouvoir se tenir, » souffle-t-il avec reconnaissance, tout en interceptant un centre-tir d’un tacle glissé fulgurant.

Chaque édition réunit entre une trentaine et une cinquantaine de personnes. Si lui se considère volontiers comme un « joueur d’e-sport », Gianni Torchio sait bien qu’avec sa communauté vieillissante et ses compétitions en marge du business du jeu vidéo, Kick Off est surtout un hobby de quadragénaires. « C’est un peu comme un rassemblement de fans de la Fiat 500 », sourit-il en évoquant cette voiture italienne mythique des années 1930.

Le joystick de l’Amiga nous glisse des doigts, il pleut, l’herbe est glissante. 5-0, fin du premier match, revanche.

« On papote, on refait le monde, tout en jouant »

Comme tant d’autres, Gianni Torchio a vécu le premier âge d’or des jeux de football, quand les deux séries phares ne s’appelaient pas FIFA et PES, mais Kick Off et Sensible Soccer, et divisaient autant les joueurs que les matchs PSG-OM. « Sensible Soccer était un bon jeu, estime-t-il poliment. Graphiquement, il était meilleur, et c’était le premier à avoir des footballeurs reconnaissables, comme George Weah à la pointe du Milan AC, c’était un vrai progrès en termes d’identification. Mais en matière de jeu pur, Kick Off était vraiment plus riche, plus consistant. » On l’interrompt d’un cri de joie après avoir eu l’impression d’avoir arrêté un de ses tirs. « Le gardien est contrôlé par l’ordinateur », glisse-t-il à voix basse, tout penaud de nous décevoir.

Gianni Torchio : « Merci pour la partie. » | Nicolas Krief pour Le Monde

Pour un joueur moderne, Kick Off ne manque pas de dépayser : la conduite de balle revient à piloter une bille à coups de queue de billards. « Il faut veiller à tourner progressivement autour de la balle pour changer de direction, un peu comme dans le récent jeu Rocket League », qui met en scène des voitures footballeuses, détaille-t-il tout en esquivant trois tacles sauvages avant d’aller planter deux nouveaux buts.

« Dans Kick Off, le gardien a l’air invincible. Le secret, c’est de l’amener à sortir de ses buts, par exemple avec une longue passe lobée en profondeur, et de couper la trajectoire, puis de le contourner avec l’attaquant. » En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le champion italien se met à exécution.

Contrairement aux jeunes compétiteurs de League of Legends ou DotA, ce père de famille n’a pas aménagé sa vie quotidienne pour s’entraîner à haute fréquence. « Je joue en moyenne une fois toutes les deux semaines, et quand un tournoi se rapproche. » Ses entraînements consistent à disputer des parties amicales avec d’autres amis nostalgiques. « C’est la même chose que si on allait au bar boire des bières : on papote, on refait le monde, tout en jouant. » Dont acte : après un énième but au petit train, le coup de sifflet final retentit pour la seconde fois, mettant fin à la conversation. 5-0, 3-0, la messe est dite. « Merci pour la partie », glisse-t-il une seconde fois, avec l’insolence des champions trop polis.