« Ah, Fièvre romaine !, s’écrie Julian Barnes avec enthousiasme. Cette nouvelle n’est pas simplement la meilleure que Wharton ait ­jamais écrite. C’est l’une de mes dix nouvelles préférées. » Préférées ? Oui, ajoute Barnes sans mâcher ses mots. « One of my ten favorite short stories of all time. » De tous les temps, et donc de tous les auteurs : c’est dire.

Mais d’abord, il faut présenter Mrs Wharton, écrivaine quelque peu oubliée en France au­jourd’hui. « A few basics, rappelle Julian Barnes. Ses dates – 1862-1937 –, ses origines sociales – New York, vieille fortune –, son grand compagnonnage littéraire – Henry James –, sa terre d’exil – la France –, son statut financier, sa condition de femme mariée et la façon de la définir sur le plan sexuel – riche, tourmentée, largement insatisfaite. »

Edith Wharton, qui divisait son temps entre Paris et Hyères, fut, en 1921, la première femme à recevoir le prix Pulitzer pour son ­roman Le Temps de l’innocence (1920). Dans son œuvre surtout composée de romans – Chez les heureux du monde (1905), Ethan Frome (1911) ou L’Ecueil (1912) – et de recueils de nouvelles – Vieux New York (1924), Le Triomphe de la nuit (1937)… –, elle met en scène la bonne société dont elle est issue.

Son trait est vif et mordant. Direct. Sa plume, aiguisée. Ses silences, meurtriers. Chez Wharton, « ce qui n’est pas dit et la façon dont les choses ne sont pas dites est souvent aussi éloquent que des mots », note Julian Barnes dans Through the Window (Vintage Books, 2012). Wharton disait elle-même : « Il y a autant de variétés de silence que de tonalités dans le discours. »

Secret brûlant

Des silences, des non-dits, des sous-entendus assassins, il y en a à foison dans Fièvre romaine. Tout commence pourtant dans la chaude quiétude d’un coucher de soleil, sur la terrasse d’un hôtel, au-dessus des ruines du Forum romain.

Deux Américaines, deux vieilles « amies » désormais veuves et très « comme il faut », se sont retrouvées là par ­hasard. Et discutent agréablement, du moins en apparence. Entre deux rangs de tricot, ­elles évoquent leurs filles, leur passé, feus leurs maris et un décisif séjour à Rome, juste avant leurs mariages respectifs. Jusqu’à ce que l’une dise à l’autre qu’elle n’en peut plus. Et que la crise éclate.

« Cette idée du secret… Du secret vieux de très longue date, mais toujours aussi brûlant. Cette idée du secret que l’on dissimule soigneusement sous la façade des bonnes manières et des conventions, voilà ce que je trouve immensément puissant, commente Barnes. Et ce ­secret entre les deux femmes, si longtemps ­enfoui, Wharton le fait sortir de telle manière qu’il va brutalement anéantir le passé et la mémoire que l’autre a de ce passé. »

Ce qui est remarquable, c’est la fréquence des rebondissements, les retournements de situations. De ces deux femmes si bien élevées on se ­demande longtemps qui est le bourreau et qui la victime. Il faudra attendre les derniers mots pour le savoir. Une belle histoire de ­revanche. De revanche inconsciente.

On pense longtemps à cette nouvelle après l’avoir refermée. « Quant à moi, avoue Barnes, elle m’en a inspiré une autre, Les choses que tu sais dans La Table citron (Mercure de France, 2006). » Deux vieilles Américaines y évoquent leurs merveilleux maris défunts. « En l’écrivant, j’avais en tête ce texte de Wharton. Je l’ai utilisé comme un modèle lointain. »

« Roman Fever » d’Edith Wharton, vol. 19, en kiosques le 20 octobre.