Katia et Marielle Labèque ont été initiées au piano par leur mère. | Umberto Nicoletti

A l’affiche du Théâtre du Chatelet le 22 juin avec le spectacle Love Stories, Katia et Marielle Labèque interpréteront West Side Story puis le ballet Star-Cross’d Lovers de David Chalmin dans une chorégraphie de Yaman Okur pour sept breakdancers. Pour deux pianos ou à quatre mains, les sœurs virtuoses enchaînent les projets et les tournées avec la même passion qu’à leurs débuts, il y a quarante ans.

Extrait de « Love Stories »

Katia et Marielle Labèque - Teaser LOVE STORIES
Durée : 01:38

L’apprentissage d’un instrument est l’effort d’une vie, long, régulier, répétitif, parfois laborieux. Comment l’avez-vous vécu ?

Katia : Notre mère était professeure de piano et c’est moi qui lui ai demandé, à 3 ans, de m’apprendre. Le rapport avec l’instrument était donc naturel. La discipline, elle, m’embêtait beaucoup. Le fait d’apprendre les notes… Mais ma mère était forte et me rappelait, quand c’était nécessaire, que c’était moi qui lui avais demandé. Alors, lorsque je ne travaillais pas, elle fermait la partition et me disait : « Débrouille-toi ! » J’ai donné mon premier concert à 7 ans. J’avais participé à un concours organisé par les deux sœurs Raynaud-Zurfluh. Elles parcouraient la France pour repérer les jeunes talents. La récompense du concours était de jouer avec l’orchestre au théâtre des Champs-Elysées. J’ai gagné ! Marielle a commencé à 5 ans et a donné son premier concert à 9 ans. Elle a commencé quand elle m’a entendue jouer au théâtre des Champs-Elysées.

Marielle : C’est un énorme travail. Une discipline énorme comme pour un danseur. Je suis amie avec Marie-Agnès Gillot qui est à la barre à 9 heures du matin quoiqu’il arrive. Nous avons dû accepter cette discipline que nous a inculquée notre mère. Elle nous a donné une force de travail énorme.

Avec tous les concerts que vous donnez dans le monde entier, quand trouvez-vous le temps de découvrir et travailler de nouvelles partitions ?

Katia : Cela demande en effet énormément de temps. Par exemple, le compositeur et membre du groupe de rock The National, Bryce Dessner, nous a fait cadeau d’une partition pour deux pianos incroyable. Nous devons la jouer en septembre à la Philharmonie de Paris. Nous avons déjà commencé à la travailler.

Marielle : D’autant que nous sommes nulles en déchiffrage, l’une comme l’autre. J’aimerais avoir ce talent.

Katia : En effet, c’est une sorte de don que nous n’avons pas. Toutefois, ceux qui l’ont ne sont pas pour autant forcément de bons interprètes. Et nous aimons aussi prendre notre temps.

Comment se passe le travail ?

Marielle : On reçoit une partition. On la lit. On compte les pages. On commence à mettre des doigtés. Sur la partition de Dessner, je sais que j’ai au moins un mois de travail seule avant que nous ne commencions à jouer ensemble.

Katia : Pour celle-ci, on ne va même pas essayer de jouer ensemble avant juillet vu tout ce que nous avons à faire.

Le travail est-il le même lorsque vous interprétez une partition connue et jouée de nombreuses fois ?

Katia : Comme le concerto de Poulenc que nous avons beaucoup joué, par exemple… Eh bien, c’est pareil.

Marielle : Oui, il y a toujours des choses à replacer, à travailler. C’est la beauté de la musique.

Katia : Le deux pianos, c’est très délicat. Un piano et un violon, ce n’est pas pareil car on peut se permettre de ne pas être tout à fait ensemble. En deux pianos, c’est impossible. Néanmoins, il ne faut pas être métronomique, scolaire, cadré. Cela nous a pris des années de réussir à bouger la musique ensemble, faire des vagues ensemble. Ne pas faire quelque chose de métrique. C’est le grand défaut des duos de pianos.

Comment avez-vous eu l’idée de jouer toutes les deux et de faire votre carrière ensemble ?

Katia : Cela s’est fait naturellement à la sortie du conservatoire de Paris. Au début, c’était simplement le plaisir de jouer ensemble. Le plaisir de découvrir une partition ensemble. Tout s’est enchaîné très vite. Olivier Messiaen nous a entendues répéter ensemble Les visions de l’Amen, en passant dans les couloirs du conservatoire de Paris. Il nous a proposé de l’enregistrer sous sa direction artistique. C’était une chance formidable !

Marielle : Notre premier récital, quand nous avions 17 et 19 ans, pour l’ouverture de l’Espace Cardin, se composait de cette œuvre monumentale de Messiaen et de la sonate de Bartók. Ce fut un travail immense.

Katia : A cette période, j’avais l’impression que le temps filait. On était toujours avec cette angoisse du moment présent, que nous n’aurions pas assez de temps pour tout faire.

Les sœurs virtuoses se produiront au Théâtre du Châtelet le 22 juin. | Umberto Nicoletti

La peur de ne pas avoir assez de temps pour répéter et travailler aussi ?

Marielle : Parfois je fais ce cauchemar où j’arrive sur scène sans avoir répéter. Ce genre de rêve survient quand je me relâche un peu, l’été par exemple.

Justement, êtes-vous heureuses de lâcher un peu vos pianos lorsque vous êtes en vacances ?

Marielle : Moi oui ! Katia moins. Je peux m’arrêter pendant quinze jours facilement. Mais le temps sans piano est aussi un temps d’écoute. On ne perd pas la connexion avec la musique.

Est-ce que le travail est le même lorsque vous jouez à quatre mains ?

Katia : Le répertoire n’est pas le même déjà. C’est plus intime. Le travail est donc forcément différent. On aime, dans nos programmes de récital, mettre ces œuvres en contraste avec d’autres pour deux pianos, plus flamboyantes. Cela permet de donner un sentiment différent au spectateur.

Jouer ensemble, se synchroniser, semble relever de la magie pour l’auditeur. Comment faites-vous, concrètement ? Est-ce que vous vous regardez beaucoup ?

Marielle : Ce n’est pas cela qui nous apporte la sécurité. On ne se regarde presque pas. Seul le travail compte. La complicité et l’expérience aussi. Comme lorsque l’on joue le trille du concerto de Mozart qui débute et se termine de façon parfaitement synchronisée.

Katia : Je me souviens avoir entendu Fred Astaire dire qu’il répétait chaque mouvement cinq mille fois pour que sa danse soit naturelle.

Que se passe-t-il quand vous faites une erreur ?

Marielle : Quand on entend une petite erreur, c’est le moment où on se regarde. On se sourit. Mais le décalage ou l’oubli peut être dramatique. Ce n’est pas le cas d’un pianiste solo qui peut sauter des passages sans que personne ne le remarque.

Katia : Par exemple, dans la musique de Philipp Glass – une musique répétitive –, si l’une de nous oublie une répétition, c’est dramatique pour l’autre.

Qui suit qui ? L’une de vous est-elle leader ?

Marielle : Il n’y a pas de leader. Sur une erreur, on se rattrape.

Katia : Parfois on ne sait pas comment on réussit à se récupérer mais on y arrive naturellement. Là encore, c’est une question de travail.

Marielle : Comme une machine qui se resynchronise. C’est inexplicable. C’est de l’instinct.

Katia : Et il y a le rythme. J’ai tendance à être un peu à l’avant du tempo et Marielle à l’arrière. C’est l’une des choses que nous avons le plus travaillées puis corrigées. Ça vient avec l’expérience. Travailler avec des batteurs et des percussionnistes nous a aidées. On a la chance de jouer avec un batteur qui s’appelle Raphaël Séguinier : la terre peut s’écrouler autour de lui, il ne perdra jamais le tempo.

La mémoire est dans le doigté ? Comme un automatisme ?

Katia : C’est un mélange des deux.

Marielle : J’apprends beaucoup dans ma tête. Je me récite la partition. C’est comme un texte.

Comment réussissez-vous à mener cette carrière ensemble en étant tout le temps ensemble ?

Marielle : On n’a pas le secret. C’est comme un couple. Pourquoi celui-là tient et pas l’autre…

Katia : Je pense que c’est une question d’indépendance. Même quand ma sœur avait 18 ans, on n’habitait pas ensemble. On s’adore, on travaille ensemble, mais nos vies sont séparées. Si elle est avec son mari pendant quinze jours ou moi avec mon compagnon ou avec d’autres formations musicales, on se téléphonera tous les jours, mais nous menons nos vies.

Marielle : On n’a jamais perdu le désir de travailler et faire de la musique ensemble.

Katia : On garde nos espaces.

Marielle : Ça fait quarante ans que nous sommes sur scène ensemble. Quand un nouveau projet arrive, j’ai encore hâte de le travailler avec ma sœur. On a beaucoup de chance !

« Love stories », le 22 juin au Théâtre du Chatelet, 1, place du Châtelet, Paris 1er. Tél. : 01-40-28-28-40. chatelet-theatre.com/fr/event/katia-et-marielle-labeque

Plus d’infos : www.labeque.com