Le siège des services de renseignements électroniques britanniques (GCHQ) à Cheltenham (sud-ouest de l'Angleterre). | REUTERS

L’accumulation massive de données personnelles renforce-t-elle la sécurité des Etats ? Le site The Intercept s’est procuré une présentation confidentielle qui met en lumière l’inflation des données collectées par l’un des programmes secrets du GCHQ, les services secrets britanniques. « Contrairement à [l’attentat de] Mumbai, la majeure partie des données utiles lors du G20 de Londres ont été recueillies par les moyens classiques », se félicite la présentation. Mais elle révèle aussi une ombre – de taille – au tableau : seule une infime partie (3 %) des informations collectées a été réellement « vue » par des agents.

D’ordinaire, ce ne serait pas un problème : comme leurs homologues américains, les agents du GCHQ collectent d’immenses quantités de données, principalement pour pouvoir y effectuer ensuite des recherches. Mais dans le cas présent les données ont été collectées par Preston, un programme spécifique et ciblé, qui ne « met sur écoute électronique » que des personnes suspectées de terrorisme ou d’autres activités illégales… et donc susceptibles de contenir des informations très précieuses.

Ce document et d’autres, fournis par le lanceur d’alerte Edward Snowden, montrent que les services britanniques souffrent depuis la fin des années 2000 d’« infobésité » : trop de données, trop peu d’agents, et trop de « bruit » numérique qui ne permet pas d’isoler les informations significatives.

« A l’exception des enquêtes les plus prioritaires, le manque d’effectifs et d’outils fait que les enquêteurs se retrouvent confrontés à des données brutes et non filtrées, note un autre rapport britannique datant de 2010. La plupart du temps, ces informations ne sont pas traitées complètement, en raison du temps nécessaire pour les analyser. »

Des données partagées avec la police

Les révélations de The Intercept interviennent alors que vient de s’ouvrir à Londres le débat parlementaire sur un projet de loi donnant de nouveaux pouvoirs très extensifs aux autorités – renseignements, police – pour collecter des données ou mettre sur écoute des personnes. Mais un autre document Snowden, publié lundi 6 juin, montre qu’en 2012, les services de renseignements britanniques estimaient ne pas avoir besoin d’un nouveau cadre légal, notant toutefois que d’autres agences de maintien de l’ordre, dont la police, étaient confrontées à davantage de difficultés. Pour la police, qui ne dispose pas des mêmes capacités que les espions, les surveillances des flux Internet, plus complexes à mettre en place que les surveillances téléphoniques, se traduisaient par un « déclin significatif » des capacités d’écoutes, estimait alors le GCHQ.

Le même document montre que les services de renseignements ont régulièrement partagé, via un programme nommé « MilkWhite », des données issues du renseignement avec des forces de l’ordre aussi diverses que la police londonienne, le fisc britannique ou la police nord-irlandaise.

Ces révélations mettent en difficulté une partie de l’argumentaire utilisé par la ministre de l’intérieur, Theresa May, pour défendre le nouveau projet de loi sur la surveillance électronique. Le texte prévoit toute une batterie de mesures, dont la plus emblématique est l’obligation faite aux fournisseurs d’accès à Internet de tenir à la disposition de la police l’historique Internet de tous leurs abonnés, sur une durée d’un an.

Un projet de loi inconnu du grand public

Mme May avait annoncé le 2 juin avoir fait des concessions sur le texte, très critiqué par une partie du Parti travailliste et les indépendantistes du Parti national écossais (SNP). Ces concessions, qui portent sur le stockage des données médicales ou encore la protection des parlementaires et journalistes, ont été jugées largement insuffisantes par le SNP, qui a d’ores et déjà annoncé qu’il voterait contre un projet de loi qui concède à la police « des pouvoirs intrusifs inacceptables et inutiles en pratique ».

Le débat, qui doit s’achever par un vote en début de semaine prochaine, semble cependant ne pas passionner le grand public. Un sondage commandé par l’ONG Liberty, publié le 5 juin, montre que 72 % des personnes interrogées sont incapables de dire ce que contient le projet de loi. Parmi les 28 % des sondés ayant connaissance de son contenu, 92 % des personnes interrogées se disent en revanche opposées aux principales mesures du texte.