Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, au siège de l’établissement, à Francfort, le 21 avril. | DANIEL ROLAND / AFP

C’est un petit événement sur les marchés : mercredi 8 juin, la Banque centrale européenne (BCE) a commencé à racheter des obligations d’entreprises. Cette mesure, annoncée le 21 avril, viendra en complément des rachats de dettes publiques que la BCE mène déjà depuis plus d’un an.

Au total, ces rachats de titres publics et privés s’élèvent à 80 milliards d’euros mensuels. Ils devraient s’étendre jusqu’au printemps 2017 au moins. Avec un objectif, relancer l’inflation, le crédit et la croissance de la zone euro.

  • Pourquoi la BCE rachète-t-elle des obligations privées ?

Après avoir baissé son taux directeur au maximum (il est aujourd’hui à 0 %), la BCE a commencé, en mars 2015, à racheter des titres de dettes publiques des pays membres de la zone euro sur le marché secondaire, où s’échangent les obligations déjà émises. C’est ce qu’on appelle l’« assouplissement quantitatif », ou quantitative easing (QE) en anglais.

L’objectif était alors de déjouer la menace déflationniste pesant sur le Vieux Continent en relançant le crédit et l’activité. En achetant ces dettes, la BCE contribue en effet à faire baisser les taux souverains et, par ricochet, les autres taux pratiqués dans l’économie. Comme par exemple, ceux des prêts aux entreprises et aux ménages.

Mais en achetant ces titres, elle fait également augmenter la quantité d’euros en circulation – de quoi faire baisser le cours de la monnaie unique face au dollar, favorisant, au passage, les exportateurs européens.

Problème. En dépit de ces mesures, le crédit aux entreprises peine toujours à repartir. Voilà pourquoi la BCE a décidé de racheter également leurs obligations. Là aussi, l’idée est d’en faire baisser les taux : les entreprises pourraient ainsi se financer moins cher ; ce qui peut les inciter à investir et à embaucher. De fait, la simple annonce de ces achats a déjà contribué à faire baisser les taux – comme souvent, les investisseurs ont largement anticipé l’action de l’institut monétaire…

  • Quelles entreprises en profiteront ?

Ces achats ont commencé le 8 juin sur le marché primaire (dès l’émission des titres) et secondaire (à la revente). Ils sont menés par six banques centrales nationales : la belge, l’allemande, l’espagnole, la française, l’italienne et la finlandaise.

Les obligations d’entreprises éligibles doivent être notées au moins « BBB – » par les agences de notation, de quoi garantir leur qualité. Les titres de banques et de filiales de banques sont exclus, mais pas ceux des assureurs.

Quelles entreprises en profiteront ? Principalement les grands groupes, notamment dans la pharmacie, l’aéronautique, l’agroalimentaire, l’automobile. « La France peut dire merci à Mario Draghi, car ses entreprises en profiteront largement », commente Maxime Sbaihi, économiste chez Bloomberg Intelligence. Le marché tricolore des obligations dites « corporate » est en effet le plus gros de la zone euro.

La BCE communiquera pour la première fois le 18 juillet, puis à un rythme hebdomadaire, sur ses rachats. Mais elle ne détaillera pas la liste des entreprises ciblées, pour ne pas influencer outre mesure le comportement des investisseurs.

Le marché des obligations d’entreprises reste néanmoins de petite taille en Europe : le volume de produits éligibles est de 500 milliards à 700 milliards d’euros, estiment les analystes. Les rachats de la BCE ne devraient dont guère dépasser 5 milliards d’euros par mois – une petite part seulement de son programme de 80 milliards, donc.

  • Quels effets sur la croissance ?

Ce programme profitera principalement aux grands groupes. Or, soulignent les économistes, ces derniers n’ont aujourd’hui guère de difficulté pour trouver des financements.

Le problème se situe plutôt du côté des TPE et PME qui, pour leur part, n’ont guère accès au marché obligataire. La grande majorité d’entre elles se financent en effet par l’emprunt bancaire. Elles ne profiteront donc guère de la baisse des taux des obligations corporate.

La BCE rappelle néanmoins que ces achats s’inscrivent au sein d’une panoplie d’autres outils : taux bas, taux de dépôts négatif (– 0,4 %), nouveaux prêts géants aux banques (les « TLTRO ») dès le 22 juin… Ensemble, ces mesures sont de nature à soutenir le redémarrage du crédit et de l’activité, assurent les banquiers centraux.

Mais ils n’ont rien d’une potion magique. La BCE ne peut en effet pas faire grand-chose pour lever les autres handicaps pesant sur la croissance, tels que l’anémie des salaires ou le manque de confiance des chefs d’entreprise dans l’avenir.