Une sculpture métallique représentant un graphique boursier, dans la salle de réception de la Bourse d’Athènes. | REUTERS / YORGOS KARAHALIS

En ce mois de juin, les marchés financiers ne manquent pas de raisons de s’inquiéter de l’actualité politique. Le référendum britannique, la crise migratoire en Europe ou l’ascension inattendue de Donald Trump dans l’opinion publique américaine ont en effet de quoi effrayer.

Certes, comme aux échecs, la menace est souvent plus forte que l’exécution. Quand les risques sont clairement identifiés, fussent-ils très réels, les investisseurs ont eu le temps de s’y préparer. Les cygnes noirs sont dangereux principalement parce que… ils sont noirs, c’est-à-dire suffisamment rares pour être imprévisibles.

Mais, en ce sens, il est justement correct de se méfier de la possibilité de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Car il s’agirait d’un événement sans précédent, dont les ramifications restent à analyser et à quantifier. De même, l’élection aux Etats-Unis d’un président ouvertement protectionniste et outrancier serait une première, dont les conséquences sont très difficiles à évaluer.

Toutefois, cette fascination des médias et des investisseurs pour l’agenda politique des prochains mois détourne leur attention de la matière économique. Or, pour paraphraser ce qui devint le slogan de la campagne victorieuse de Bill Clinton à l’élection présidentielle états-unienne de 1992 : ne nous y trompons pas, l’essentiel demeure la réalité économique.

Déni de la grande transition

Celle-ci devient très préoccupante. Pas seulement en Europe et au Japon, où les pouvoirs publics se débattent toujours laborieusement avec des pressions déflationnistes ; pas seulement non plus en Chine, où la stabilisation récente de l’activité économique s’effectue au prix d’une aggravation du risque bancaire ; mais aussi aux Etats-Unis. Car, dans la première économie du monde, la résilience des marchés d’actions demeure dans le déni de la grande transition qu’est en train d’opérer la capacité bénéficiaire des entreprises.

En effet, celle-ci avait reçu, depuis 2009, l’extraordinaire soutient de la banque centrale américaine, la Fed. Certes les chiffres d’affaires peinaient à progresser, mais les marges des entreprises étaient très largement soutenues par le maintien du coût du travail proche du niveau, en fort retrait, atteint en 2009-2010, soutenues également par la baisse continue de la charge d’intérêts, et par la baisse du coût de l’énergie.

Pour les investisseurs, l’augmentation des marges était même renforcée par l’effet de gigantesques programmes de rachat d’actions, qui gonflaient les résultats par action. Cette période dorée pour les investisseurs touche malheureusement à sa fin. Les résultats des entreprises américaines ont commencé à baisser (même hors secteur pétrolier, les résultats opérationnels étaient en baisse au premier trimestre de cette année), car les marges sont désormais en contraction, sous l’effet des premières pressions salariales, et de la fin de la décrue des prix du pétrole.

Le traitement de la crise financière a fragilisé l’économie

Ce phénomène est même susceptible d’être aggravé à brève échéance dans le cas où la Fed, conformément à ses intentions, poursuivrait sa politique de resserrement monétaire. Car cette orientation aurait pour effet de commencer à alourdir la charge d’intérêts, voire de renchérir le dollar, outil ultime de compétitivité.

Mais le problème n’est pas tant de court terme que fondamental. Les années d’argent gratuit, ou presque, assurées par les banques centrales ont eu au moins deux effets pervers. Le premier a été d’encourager l’endettement. Ce dernier atteint aujourd’hui des niveaux globalement bien supérieurs qu’avant la crise de 2008. Aux Etats-Unis seulement, le crédit à la consommation dépasse aujourd’hui 1 000 milliards de dollars, à son plus haut niveau historique et constitué en bonne partie de crédit « subprime » (un terme technique, mais que tout le monde connaît parfaitement aujourd’hui).

Cet endettement est donc à l’origine d’une fragilité considérable des consommateurs et des entreprises dans le cas d’un ralentissement de la croissance et des revenus disponibles. Or, le second effet pervers de l’argent gratuit a justement été de financer de l’« engineering financier » (dont le rachat d’actions) plutôt que de l’investissement productif. Ce défaut d’investissement est en grande partie responsable du déclin de la productivité aux Etats-Unis (le phénomène est global néanmoins) et donc de l’affaiblissement du potentiel de croissance à moyen terme.

Le traitement de la crise financière a donc fondamentalement fragilisé l’économie. Dans les prochaines semaines, c’est probablement la possibilité du choix politique d’un « Brexit » qui va être source de stress pour les investisseurs. Mais le risque est bien plus global, et il est avant tout économique.

Didier Saint-Georges, membre du comité d’investissement de Carmignac.