Résultats de deux saisies d’ivoire - soit un total de plus de 350 kg -, réalisées en juin 2016 par les douanes françaises. | DR

« Regardez : il y en a pour beaucoup d’argent sur cette table ! », s’enorgueillit un douanier en désignant le produit de deux saisies d’ivoire exceptionnelles : plus de 350 kilogrammes en moins d’une semaine. Des défenses d’éléphant, entières et brillantes, d’autres découpées chacune en trois morceaux sont exposées là pour la presse, mercredi 8 juin, à Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne.

Au sol sont alignés les six sacs de voyage à roulettes dans lesquels un voyageur vietnamien en provenance d’Angola pensait pouvoir transporter 26 tronçons de défense – soit 142 kg –, en bagage à main jusqu’au Vietnam. Dit autrement, gisent sur cette table les défenses de cinq éléphants, dont des juvéniles.

Le passager lourdement chargé a été arrêté à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle le 1er juin. Deux jours plus tard, il était condamné à dix-huit mois de prison par le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et écroué, avec en sus une amende de 142 000 euros, soit la valeur de l’ivoire illégal : 1 000 euros le kilogramme.

Résultats exceptionnels des douanes françaises

Ce montant peut être multiplié par sept lors du passage entre les mains de divers intermédiaires, selon Hélène Crocquevieille, directrice générale des douanes et des droits indirects. « Nous sommes face à des réseaux bien organisés, rapporte-t-elle. Hier, un contrôle de fret a donné lieu à une autre belle saisie en provenance d’Afrique et en transit pour le Vietnam. »

Le reste des trophées provient d’une perquisition chez un négociant de Seine-Saint-Denis, spécialisé en import-export d’antiquités, chez qui le service national de douane judiciaire a retrouvé 212 kg d’ivoire (seize défenses entières), le 25 mai. L’homme d’affaires se trouve actuellement en détention préventive. L’enquête le concernant avait été lancée après la découverte de quatre défenses dans une camionnette, lors d’un contrôle routier d’agents des douanes à Poitiers.

Au total, les douanes françaises viennent d’enregistrer des résultats exceptionnels. Au cours de l’année 2015, 448 kg d’ivoire brut avaient été saisis – sans compter 365 articles divers. En 2016, ce score est déjà atteint en moins de six mois. Assiste-t-on à une recrudescence de ce trafic ? Le braconnage est responsable de la mort de 30 000 éléphants en Afrique chaque année, afin de fournir les réseaux de trafiquants, souvent installés au Vietnam, où l’ivoire est d’abord travaillé avant d’alimenter le reste des marchés asiatiques, et surtout chinois.

Cadavre d’éléphant en République démocratique du Congo. | PNUE

Situation dramatique de la faune sauvage en Afrique

« La très importante et très médiatique destruction d’une centaine de tonnes d’ivoire le 30 avril, à Nairobi, au Kenya, et l’interdiction de tout commerce d’ivoire annoncé par la France sont peut-être des signes qui inquiètent les consommateurs asiatiques et leurs fournisseurs, envisage Gilbert Beltran, chef divisionnaire des douanes à l’aéroport de Roissy. Peut-être qu’ils s’empressent de se procurer le maximum de matière première avant qu’il ne soit trop tard… »

Ses collaborateurs ne manquent pas d’occasion de s’entraîner à la lutte contre le trafic d’espèces sauvages, animales et végétales, régie par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, la Cites. En 2015, en effet, ils ont mis la main sur, entre autres, 406 animaux vivants, 38 naturalisés, plusieurs tonnes de coquillages, coraux, oursins, hippocampes, peaux de serpent…

Ce trafic que tentent de limiter les douaniers français illustre la situation dramatique de la faune sauvage en Afrique. La population d’éléphants y est passée de 1,3 million en 1972 à 430 000 fin 2013. Les rhinocéros semblent avoir connu pour leur part leur pire année en 2015, avec au moins 1 338 spécimens abattus. Quant au pangolin, il aurait perdu plus d’un million des siens en une décennie, ce qui fait de lui le mammifère le plus braconné au monde. Ses écailles prennent souvent, elles aussi, la destination du Vietnam.

Un trafic qui s’est beaucoup diversifié

Dans un rapport publié conjointement le 4 juin, le Programme des Nations unies pour l’environnement et Interpol ont annoncé que cette criminalité environnementale est en pleine expansion. Les chiffres qu’ils indiquent sont vertigineux. A l’échelle mondiale, ces activités auraient augmenté de 26 % en 2015 pour atteindre entre 91 milliards et 258 milliards de dollars (entre 80 milliards et 227 milliards d’euros), selon les estimations.

Les réseaux de trafics environnementaux dans le monde (en rouge, les trafics d’ivoire et de cornes de rhinocéros). | Interpol/PNUE

Ce secteur ne se limite pas aux animaux sauvages iconiques ni aux bois précieux, mais s’est beaucoup diversifié. Pêche illégale, extraction minière clandestine, trafics de déchets, de substances chimiques, de minerais, de crédits carbone ou encore de pâte à papier et de copeaux de bois forment un business extrêmement profitable et somme toute nettement moins risqué que bien d’autres spécialités mafieuses. Il s’agit en fait du quatrième plus important trafic au monde après celui de stupéfiants, la contrefaçon et la traite d’êtres humains.

Selon les auteurs du rapport, intitulé La croissance du crime environnemental, une menace grandissante sur les ressources naturelles, la paix, le développement et la sécurité, la valeur du commerce de la vie sauvage, flore et faune, se situerait entre 7 milliards et 23 milliards de dollars par an. Le transport clandestin de déchets, notamment dangereux, pourrait atteindre entre 10 milliards et 12 milliards en 2016 ; les pertes dues à l’extraction minière illégale s’élèveraient pour les Etats à au moins 12 milliards, voire 48 milliards de dollars. Avec 11 milliards à 23 milliards par an, la pêche non déclarée et non autorisée brasse davantage d’argent que le marché des armes légères…

« Nous avons contribué à ce document, car il est essentiel que les informations soient partagées », rapporte Henri Fournel, coordinateur d’un projet de sauvegarde de la biodiversité en Afrique au sein d’Interpol. L’ensemble des autorités publiques savent à présent que les crimes environnementaux sont directement liés aux organisations mafieuses et alimentent les groupes terroristes.

Les enjeux sont écrasants, les moyens totalement insuffisants. M. Fournel, qui travaille sur le terrain à la coopération transnationale entre plusieurs polices africaines, afin de protéger éléphants et rhinocéros, glisse que sa mission repose sur des fonds d’une fondation privée. Pour l’heure jusqu’à fin 2017.