Près de La Rochelle, le 23 mai. | XAVIER LEOTY / AFP

« Cause panne sèche : vends ou échange contre carrioles à cheval véhicules Fiat Doblo [utilitaires], très bon état. » Denis Leblanc a préféré prendre la situation avec humour. Dans un message posté jeudi 26 mai sur son compte Facebook, le patron de La Bonne Marmite, une TPE de 6 personnes de Douai (Nord), s’inquiète toutefois pour son activité de livraison de repas à domicile. « Ce matin, mes trois camionnettes ont enfin réussi à faire le plein. Mais le problème se reposera en début de semaine prochaine », constatait M. Leblanc, jeudi après-midi.

A l’image de La Bonne Marmite, les TPE-PME françaises, plus fragiles et moins adaptables que les grands groupes, sont les premières victimes de l’épreuve de force entre la CGT et le gouvernement autour de la « loi travail ». Mouvements de grève et blocages de raffineries et de centrales pénalisent chaque jour un peu plus leur activité.

Les plus touchés sont les professions les plus consommatrices de carburant, obligées, comme les particuliers, de s’armer de patience pour espérer faire le plein. « Mes principales difficultés sont dues à la bêtise des gens qui se précipitent aux pompes à essence. Pourtant, les stations-service sont réapprovisionnées tous les matins depuis le début de la semaine. Ici, il n’y a pas de pénurie ! » peste Malik Chafai, chauffeur de taxi à Aix-en-Provence. A Paris, « c’est le système D, nos chauffeurs communiquent entre eux sur les endroits où se ravitailler. Mais l’activité se poursuit globalement à l’identique », indique Gilles Boulin, du Gescop, un groupement économique qui fédère 1 200 taxis parisiens.

50 camions bientôt tous à l’arrêt

L’activité des chauffeurs routiers, qui pâtissent à la fois de la pénurie de carburant et des barrages, est plus perturbée. « L’Ile-de-France reste la région la plus critique, suivie par la Bretagne et la Normandie et, depuis hier, la Provence-Alpes-Côte d’Azur », explique-t-on à l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE). La profession a obtenu que les chauffeurs puissent travailler samedi 28 mai, même s’ils ont dépassé leurs amplitudes hebdomadaires du fait de temps d’attente plus importants que d’habitude aux barrages routiers ou à la pompe. « Le plus compliqué, ce sont les chauffeurs d’autocars qui ont du mal à rejoindre leur entreprise pour les premiers services, vers cinq ou six heures du matin, faute de transports en commun. Mais le service reste assuré », rassure Maryline Jouaillec, secrétaire générale de la Fédération nationale des transports de voyageurs.

Christine Jaouen, elle, ne décolère pas. La patronne d’Atlantic Trans Containers, une PME de 65 salariés située à Bannalec (Finistère), était suspendue, jeudi soir, à l’éventuelle réouverture du port et des docks du Havre, fermés depuis trois jours. Sans carburant et sans possibilité de charger des conteneurs, ses 50 camions, qui transportent habituellement produits frais, ferraille ou articles ménagers, seront bientôt tous à l’arrêt. « Mes chauffeurs en ont ras-le-bol. Certains habitent au fin fond du Finistère et ne sont même pas sûrs de pouvoir rentrer chez eux ce week-end », déplore-t-elle. « Tout ça pour conserver les avantages de dockers qui gagnent 6 000 euros net par mois en fin de carrière, contre 2 000 euros pour un chauffeur routier ! Notre métier va déjà très mal, ils font nous faire crever », s’étrangle un autre petit transporteur, qui a préféré garder l’anonymat.

Dégâts collatéraux

La pétrochimie, ce secteur intermédiaire entre les raffineries et les industriels du plastique, de l’automobile ou du bâtiment, est également sinistrée. « Entre 20 et 30 usines – soit 10 % de la production française – sont à l’arrêt, principalement en Normandie et au sud de Lyon, par manque de matières premières. Cela représente une perte de production de 10 à 15 millions d’euros par jour », détaille Jean Pelin, le directeur général de l’Union des industries chimiques.

L’industrie manufacturière semble moins touchée. « La plupart de mes confrères ont suffisamment de stocks pour tenir quelques jours », indique Bruno Grandjean, patron de la société de machines-outils Redex et vice-président de la Fédération des industries mécaniques. En revanche, il s’inquiète pour l’image de l’Hexagone à l’étranger. « Des clients américains devaient arriver prochainement en France pour réceptionner une machine. Avec l’effet déformant de la distance, ils s’imaginent qu’ici, c’est 1789 ! Le made in France n’en sort pas grandi », se désole-t-il.

« Moi, je suis pour le droit de grève, mais pas le droit de blocage », affirme Chantal Charrier. Cette ancienne directrice de centres de loisirs jure pourtant avoir la fibre sociale. Mais le mouvement actuel tombe au plus mal pour son petit hôtel de 17 chambres, La Voile Bleue, situé sur le front de mer à Erdeven (Morbihan). « Les clients appellent pour annuler, par peur de manquer d’essence. Les plus inquiets sont les touristes anglais, belges ou allemands qui craignent de ne pas pouvoir rentrer chez eux », poursuit Mme Charrier. L’hôtelière, qui a « pris le temps de lire la “loi travail”, la juge pourtant nécessaire : « Il y a sûrement quelques aménagements à faire, et le recours à l’article 49.3 pose question. Mais si on veut que les gens aient du boulot, il faut arrêter de ne penser qu’à sa petite personne ! »

Le mouvement fait d’ailleurs des dégâts collatéraux. Laurence Rolland, à la tête de Gourmandes et Cie, une TPE toulousaine qui fabrique des biscuits pour la grande distribution, en sait quelque chose. « Une partie de ma marchandise est bloquée en entrepôts depuis le début de la semaine, je risque des pénalités de retard sur 15 % à 20 % de mon chiffre d’affaires », explique la jeune femme. Mais ce qui la rend « hystérique » est ailleurs : « J’avais embauché deux jeunes en CDD, que je pensais prolonger jusqu’à fin juin. Dans les conditions actuelles, je vais arrêter leur contrat à la fin de cette semaine. »