La question, révélatrice, vaut son pesant d’or. Mardi 17 mai, dans une interview publiée dans plusieurs médias européens, une journaliste du quotidien allemand Die Welt a demandé à Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank : « Un président de la Banque centrale européenne (BCE) allemand ne faciliterait-il pas la communication ? »

Quelques jours plus tôt, Hans-Peter Friedrich, l’une des figures de proue de l’Union chrétienne-sociale (CSU), déclarait souhaitable que le prochain patron de la BCE soit allemand. La plupart des conservateurs du pays pensent de même. Et oui : aujourd’hui, en 2016, une partie de nos voisins jugent encore que la tête de l’institut monétaire européen devrait venir de Berlin ou Francfort plutôt que de Rome ou Paris (et encore moins de Madrid ou Lisbonne).

Parangon d’indépendance monétaire

Il y a deux façons de considérer ce débat. La première est d’en conclure que Mario Draghi, l’actuel président de la BCE, a gagné. Il ne dirige pas l’institution comme un Italien, mais comme un Européen soucieux de prendre des mesures adaptées à l’ensemble de la zone euro, sans privilégier un pays en particulier. On ne peut pas en dire autant de son prédécesseur, Jean-Claude Trichet. Celui-ci a piloté la BCE comme un Français… obsédé à l’idée de prouver qu’il faisait preuve d’autant de rigueur et d’attachement à la lutte contre l’inflation qu’un Allemand.

En se détachant des seules préoccupations de Berlin, Mario Draghi, lui, a fait de la BCE la véritable banque centrale de l’union monétaire – et non plus la docile héritière de la Bundesbank. Certains ont encore du mal à l’avaler outre-Rhin. Ils restent convaincus qu’en la matière, seul leur pays, où la Bundesbank fut érigée en parangon d’indépendance monétaire, sait faire les choses correctement. La Banque de France d’avant l’euro n’obéissait-elle pas au doigt et à l’œil au ministre des finances français, avec toutes les dérives que cela implique ?

Mais le débat sur la nationalité du « M. Monnaie » de la zone euro en dit également long sur la défiance régnant aujourd’hui entre les capitales européennes. Celle-ci ne se résume pas au domaine monétaire. C’est encore pire en matière budgétaire. Bien sûr, certains pays membres n’ont jamais fait preuve d’une grande rigueur dans la tenue de leurs comptes publics. Bien sûr, l’union monétaire exige un minimum de convergence en la matière.

Mais aujourd’hui, la suspicion généralisée domine. Le Portugal désire souffler un peu après cinq ans d’austérité à la serpe ? On (Bruxelles, Berlin…) soupçonne immédiatement Lisbonne de vouloir se vautrer à nouveau dans le laisser-aller budgétaire. On demande à l’Allemagne d’investir un peu plus ? Celle-ci suspecte ses voisins de vouloir piocher dans son épargne pour financer leurs dépenses.

Plus personne ne fait confiance à personne dans la zone euro. Comment inverser la tendance ? Les Cassandre décomplexées prophétisent qu’il est déjà trop tard. Les fondus du fédéralisme assurent que renforcer les règles communes finira par porter ses fruits. Il est vrai qu’après tout, la construction européenne a toujours progressé dans les crises. Du moins, jusqu’à aujourd’hui…