Devant le Centre de convention de Los Angles, une fausse procession funéraire pour la promotion du jeu « Mafia 3 ». | FREDERIC J. BROWN / AFP

Jeudi 16 juin, dans l’avant-dernière gazette du Salon du jeu vidéo de l’E3, il était beaucoup questions des multiples stratagèmes des grands groupes du secteur pour embobiner les journalistes. En cette journée de clôture, pardon, de libération, il serait de bonne guerre de raconter ce qu’eux aussi doivent endurer.

Le journaliste jeu vidéo n’est pas une espèce facile. Pour commencer, l’animal n’est pas un foudre de l’organisation, et dans un événement mondial fonctionnant par petites sessions sur rendez-vous, ce laisser-aller ne va pas sans poser problème.

Horaires manqués, erreurs de salle, ou encore malentendu sur le jour… l’E3 est le kamasutra du rendez-vous manqué, et certains loustics connaissent bien leurs positions. À leur décharge, est-ce leur faute à eux si Google Agenda a noté tous les créneaux sur le fuseau horaire de Paris plutôt que celui de Los Angeles ? « Excuse-me, is it possible de reschedule the appointment ? » (Excusez-moi, peut-on recaler un rendez-vous) n’est pas loin de faire figure de phrase de salutation pour certains.

Et puis, le journaliste n’est pas toujours intéressé par ce qu’on voudrait lui montrer. C’est qu’à l’E3, il y a tant de choses à voir qui ne relèvent pas seulement des jeux, de la mode vestimentaire (« cette année, c’est celle de la réalité virtuelle et des fringues orange », relève avec passion un confrère du magazine JV). Ou, mieux, la moquette des stands, qui semble avoir fasciné le journaliste du Wall Street Journal.

Au sein de cette étrange population, certaines sous-espèces sont encore plus redoutables, comme le journaliste français, réputé plus farouche et inconciliant. « Blasé », selon le terme consacré des éditeurs, qui ne comprennent pas toujours, ou ne veulent pas comprendre, que dans un métier porté sur le divertissement, certains mettent tant de cœur à utiliser cette petite excroissance d’humanité que l’on appelle esprit critique. Alors qu’il serait si simple de participer à la fête en poussant des « youhou » à tout bout de champs, comme cette charmante dame – un tantinet agaçante à la longue.

All the Parts Where the Girl Screams Really Loudly at Bethesda's E3 2016 Showcase
Durée : 00:54

Le journaliste jeu vidéo français a un autre problème : il est français. Et à ce titre, il parle le plus souvent anglais avec un accent si particulier. De fait, : il parle français, comprend l’anglais, et quand il parle anglais, il se comprend. Les interlocuteurs américains ayant le plus souvent l’habitude de feindre la compréhension (par politesse) et de parler d’autant plus vite (par sadisme), les conversations prennent parfois des tours épiques. Heureusement, les journalistes français sont à peu près aussi nombreux que les développeurs canadiens – c’est-à-dire très un grand nombre – et les entretiens francophones fréquents. Puissent nos amis québécois se moquer autant de notre accent que certains le font du leur.

Si les éditeurs sont prompts à transformer les développeurs en publicités vivantes, c’est que leurs vis-à-vis de la presse ne leur en demandent souvent pas davantage qu’un discours promotionnel. « How many weapons » (combien d’armes différentes ?), « how long does it take to beat the game ? » (combien de temps pour finir le jeu ?) et le légendaire « What about the multiplayer » (quid du multijoueur ?) – question tarte à la crème par excellence, devenue une blague au sein de la profession.

Le journaliste a enfin la paradoxale caractéristique de parler mal mais beaucoup. Certains spécimens, dont fait partie l’auteur de ces lignes, emploient souvent l’expression « dernière question » sans en comprendre le sens, ou l’utilisant comme une désinvolte formule de politesse pour prévenir leur interlocuteur qu’il ne reste plus que huit questions et une heure vingt-cinq minutes d’interview. Les éditeurs, ça les énerve, et on les comprend bien.

Lorsque sur les coups de 17 heures, le Salon du jeu vidéo a fermé ses portes, jeudi 16 juin, un soulagement manifeste a traversé les visages des uns et des autres, et leur moue rageuse exprimait à haute voix ce qu’ils n’osaient à peine murmurer. « Hé, salut, tocards de journalistes blasés, arrogants, mal organisés et ingérables ! », semblaient dire les uns. « Bye bye, infâmes éditeurs cyniques, manipulateurs et sans âme ! », semblaient marmonner les autres. « Dooooormiiiir », criaient leurs cernes à l’unisson. Et surtout, à l’année prochaine pour le prochain E3.