Collectif

« Bloqueurs », « archaïques », « casseurs » voire « terroristes » : les opposants à la loi travail sont bruyamment stigmatisés dans l’espace médiatique. Il convient pourtant de rappeler quelques faits.

Le projet contesté s’inscrit dans une longue série de « réformes structurelles » prônées par les milieux d’affaires et les institutions européennes. Cette série a affaibli les protections collectives sans déboucher sur les créations d’emplois promises, et accru les inégalités et la peur du lendemain pour celles et ceux qui ne disposent pas d’un confortable patrimoine. D’après des sondages convergents, l’opinion pense très majoritairement que ce projet de loi favorise les entreprises, c’est-à-dire leurs propriétaires, au détriment des salariés de base, et que le gouvernement devrait retirer ce projet inéquitable. D’où la virulence de médias largement contrôlés par les plus grandes fortunes.

Quand les privilégiés s’enrichissent sans limites ni vergogne (dividendes et salaires de patrons outranciers, évasion fiscale organisée par les banques, etc.) avec l’acquiescement de l’État, quand les gens ordinaires n’entrevoient en guise d’avenir, pour eux et leurs enfants, qu’insécurité sociale et nature saccagée, alors l’injustice structurelle débouche sur la violence ouverte. Violence des promesses électorales bafouées, des mots et des projets gouvernementaux écrits par le MEDEF ou empruntés à la droite extrême. Violence et cynisme d’État de ceux qui, comme Manuel Valls, déclarent la « bataille identitaire » prioritaire sur la lutte contre le chômage. Qui jouent avec les préjugés contre les immigrés et les réfugiés, le mépris des musulmans, le ressentiment contre les plus pauvres. Qui profitent du choc des attentats terroristes pour faire passer des réformes impopulaires au nom d’un « état d’urgence économique ». Qui écartent tout débat par le recours au 49.3 et donnent aux forces de l’ordre des consignes « d’extrême fermeté ».

Ce qui surprend alors est la grande patience de la société, la dignité du mouvement social et la rareté des débordements. La grève, l’interruption des flux de marchandises, les occupations sont des outils légitimes de lutte face aux abus des pouvoirs. Dans ces luttes, sur les places, se retissent les liens et les solidarités qui font une société vivante. Non, MM. Hollande et Valls, les protections sociales ne sont pas du luxe. Non, la loi de la compétitivité ne doit pas disloquer la société. Non, l’État n’est pas la propriété des privilégiés. Non, la rhétorique du « choc des civilisations » et la lutte orchestrée des pauvres contre les pauvres, ne sauraient faire oublier une lutte des classes de plus en plus âpre et inégale. La résistance à l’oppression est un droit naturel et imprescriptible inscrit dans la déclaration de 1789. Nuit Debout, l’intersyndicale, les manifestants et les milliers de citoyens qui mettent leur corps en travers de l’injustice sont le cœur de cette résistance populaire. Nous sommes à leur côté, contre la loi Travail et son monde.

Premiers signataires : Christophe Bonneuil (historien), Geneviève Azam (économiste), Dominique Méda (sociologue), Yves Sintomer (politiste), Thomas Coutrot (économiste), Dany-Robert Dufour (philosophe), Antoine Peillon (journaliste), Jean-Claude Guillebaud (écrivain), Emmanuel Dockès (juriste), Pierre Dockès (économiste), Jean Pélissier (juriste), Christian Laval (sociologue), Pierre Dardot (philosophe), Etienne Balibar (philosophe), Sophie Wahnich (historienne), Jérôme Pelisse (sociologue), Jean Gadrey (économiste), Julia Cagé (économiste), Mathilde Larrère (historienne), Dominique Plihon (économiste), Aurélie Trouvé (économiste), Nicolas Bouleau (mathématicien), Susan George (écrivaine), Pierre-Henri Gouyon (biologiste), Giuseppe Longo (mathématicien).