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Lire dans leur langue les grands auteurs anglophones peut-il favoriser l’apprentissage de l’anglais ? Rebecca Ricault, professeure d’anglais au lycée Janson-de-Sailly, à Paris, répond.

Que pensez-vous des méthodes ­actuelles d’apprentissage ­de l’anglais ?

L’apprentissage tel qu’il est préconisé dans les textes en vigueur pour le ­secondaire met essentiellement l’accent sur les savoir-faire et les compétences (produire, écrire, lire, parler en interaction, en continu…) tandis que les savoirs (grammaire, phonologie, lexique…) sont abordés comme des outils au service de la communication et non comme une finalité. C’est le changement majeur de ces quinze dernières années. L’apprentissage de la grammaire pour la grammaire est révolu.

En quoi consistent les nouvelles méthodes ?

La plus répandue, la méthode ­actionnelle, consiste à faire effectuer une tâche à l’élève en fin de séquence thématique et culturelle. L’élève a été outillé, entraîné, il va pouvoir mettre ses connaissances et ses compétences à profit dans un projet. Cela donne quand même plus de sens à l’apprentissage ! Cela encourage aussi la ­motivation de l’élève. C’est donc une bonne chose, mais qui a aussi ses limites. L’oral est de toute évidence très privilégié. Au bac, il y a enfin deux épreuves orales en réception et en production. A mon avis, ce ne sont pas les épreuves elles-mêmes qui sont ­importantes mais ce qu’elles induisent en amont de la formation et dans l’esprit des élèves français, qui se sentent bien plus à l’aise à l’écrit.

En conclusion, l’accent est mis sur le sens plus que la forme. On apprend aux élèves à apprendre, à développer des stratégies pour accéder au sens. L’outil numérique est un excellent vecteur. Il est de plus en plus préconisé comme support de classe, mais aussi comme continuité pour développer l’autonomie de l’apprenant à la maison. C’est vraiment un aspect qui va beaucoup se développer, cette continuité possible, ce lien qui perdure après la classe.

Existe-t-il une particularité ­française dans la manière ­d’apprendre une nouvelle langue ?

Il me semble que notre spécificité a longtemps été de considérer l’apprentissage d’une langue vivante de ­manière savante. Une approche qui privilégie d’abord et avant tout les connaissances. Les générations passées, les parents de nos élèves, considèrent ­encore que, s’il n’y a pas de ­leçons de grammaire consignées dans les ­cahiers, le cours n’est pas crédible, pas solide, que l’élève n’a pas appris. Mais nous tendons de plus en plus vers les méthodes anglo-saxonnes, qui sont davantage centrées sur la pratique, la communication directe, l’expérience. Cela est une bonne chose. Avec un ­risque, néanmoins, de voir les contenus se vider de leur substance culturelle, littéraire.

Pensez-vous que les programmes mettent suffisamment l’accent sur la littérature étrangère ?

On a l’impression que les élèves ­aujourd’hui peuvent terminer leur scolarité, du moins dans le secondaire, sans avoir jamais entendu parler d’au­teurs comme Virginia Woolf, James Joyce ou Francis Scott Fitzgerald… En effet, aucun corpus de littérature anglo-saxonne n’est obligatoire pendant la scolarité. Il existe seulement des préconisations, des grandes lignes dans les manuels scolaires ou dans les programmes. Les élèves de lycée étudient des textes littéraires, ils ont forcément lu des extraits des auteurs « clés ». Mais hormis pour l’option littérature en langue étrangère, en classe de première et en terminale, ou pour les sections européennes, il est vrai que la littérature américaine, britannique ou du Commonwealth ne constitue pas un objet d’étude en soi. Aussi les élèves manquent-ils de repères. Il faudrait pouvoir leur donner la pos­sibilité de compléter leurs connais­sances linguistiques avec des mises en perspective sur les auteurs, les courants, les genres dans la littérature étrangère. Mais pour cela, il faudrait aussi avoir un volume horaire adapté.

Lire des textes dans leur version originale, avec leur traduction en parallèle, est-il un moyen ­efficace pour apprendre l’anglais ?

Tout dépend du lecteur et de son ­objectif ; la traduction est un moyen de comprendre, d’avoir accès au sens instantanément. La lecture bilingue est une excellente façon de découvrir le texte authentique, de développer l’au­tonomie dans l’apprentissage. ­Enfin, elle donne le goût de lire en langue étrangère, ce qui est toujours particulièrement gratifiant.

L’immersion dans la langue ­est importante. Peut-elle se faire par le biais de la littérature ?

Tout à fait. La littérature permet la découverte d’un auteur, d’un genre, d’un contexte historique et culturel. Surtout, elle donne accès à une ­vision singulière du monde. Une ­vision qui découle de la langue elle-même. Il n’y a rien de mieux pour ­apprendre que d’être emporté par un récit, une intrigue, une histoire.

Propos recueillis par Juliette Hirsch