Cette semaine, « Le Monde des livres » vous recommande la magnifique saga familiale de quatre frères poursuivis par une terrible prophétie, un essai sur l’Alaska, un lumineux roman sur l’après-deuil et le récit des galères d’un écrivain bosnien exilé en France.

ROMAN. Les Pêcheurs, de Chigozie Obioma

Un jour de 1996, Benjamin pêche au bord du fleuve Omi-Ala avec ses trois frères quand Abulu, le fou, leur annonce une terrible prophétie : Ikenna, l’aîné, sera assassiné par l’un d’entre eux. Livrés à eux-mêmes depuis le départ du père, muté dans une autre ville, les frères Agwe voient leur avenir tout tracé et leur belle entente voler en éclats.

Pourquoi croyons-nous au pouvoir des mots ? La question traverse le magnifique premier roman de Chigozie Obioma. Il mêle le regard d’adulte et d’enfant de Benjamin, qui, quinze ans après les faits, nous raconte l’histoire d’un effondrement.

Saga familiale, roman d’apprentissage qui suit l’évolution de jeunes gens jetés hors du royaume de l’enfance, Les Pêcheurs emprunte aussi aux tragédies grecques et shakespeariennes qui nous parlent de pères qui abandonnent les traditions, de mères qui savent l’issue fatale mais que personne n’écoute, et de frères qui s’entretuent. Cette œuvre virtuose a été comparée au Monde s’effondre, roman culte du Nigérian Chinua Achebe (1930-2013). Gladys Marivat

L'OLIVIER

Les Pêcheurs (The Fishermen), de Chigozie Obioma, traduit de l’anglais (Nigeria) par Serge Chauvin, L’Olivier, 304 p., 21,50 €.

ESSAI. Les Ames sauvages. Face à l’Occident, la résistance d’un peuple d’Alaska, de Nastassja Martin

A mesure que les ressources minérales s’épuisent, que les marges sauvages de l’Occident s’abîment et se raréfient, le Grand Nord devient un champ de bataille économique et idéologique. C’est ce qu’a observé l’anthropologue Nastassja Martin, qui a vécu deux ans parmi les Gwich’in, des chasseurs-cueilleurs de la région de Fort Yukon, au cœur de l’Alaska.

L’issue de ces affrontements n’est jamais favorable aux Gwich’in. D’un côté, la destruction de l’environnement, la construction de routes ou d’oléoducs coupent les communautés indigènes de leurs moyens de subsistance ; de l’autre, la sanctuarisation de l’environnement fait des autochtones des étrangers tout juste tolérés sur leur propre territoire.

Ni traité académique, ni grand reportage, ni récit personnel, le texte de Nastassja Martin est un peu tout cela à la fois : l’auteure donne à voir et à comprendre « toute la finesse et la profondeur » des manières d’être de ceux dont elle a partagé la vie. Stéphane Foucart

EDITIONS LA DÉCOUVERTE

Les Ames sauvages. Face à l’Occident, la résistance d’un peuple d’Alaska, de Nastassja Martin, La Découverte, 316 p., 22 €.

ROMAN. Umami, de Laia Jufresa

Le mot vient du japonais : l’umami est la cinquième saveur identifiable par la langue d’un être humain. Dans le premier roman de la mexicaine Laia Jufresa, c’est le nom qu’a choisi Alfonso pour la maison qu’il a fait construire dans un quartier de Mexico. Un terrain que cet anthropologue, spécialiste de l’alimentation précolombienne, a loti de quatre autres maisons, toutes baptisées du nom d’une saveur et toutes marquées, comme celle d’Alfonso, par un deuil.

A travers une succession de monologues, les résidents dévoilent ces tragédies qui nourrissent l’histoire de cette petite communauté : des drames qui, loin d’isoler les voisins, les rapprochent, dans un même élan de consolation. Sans forcer le trait ni creuser trop profond dans les plaies, Laia Jufresa, en aquarelliste des sentiments, capte fort joliment ces moments d’après le deuil où la vie, comme nature au printemps, reprend douloureusement ses droits. Ariane Singer

BUCHET-CHASTEL

Umami, de Laia Jufresa, traduit de l’espagnol (Mexique) par Margot Nguyen Béraud, Buchet-Chastel, 272 p., 20 €.

RÉCIT. Manuel d’exil, de Velibor Colic

Velibor Colic était écrivain en Bosnie avant de fuir son pays dans les années 1990 et de se réfugier en France, où il a dû repartir de zéro : « Se retrouver illettré alors qu’on est écrivain est une frustration monstrueuse », note-t-il.

Si la guerre et son ancien pays sont au cœur de presque tous ses livres, ce n’est que dans ce cinquième titre écrit en français qu’il aborde son exil. Alternant poésie sombre et douce ironie, Manuel d’exil est un roman d’inspiration autobiographique – « briques de vérités scellées par le ciment de la fiction » – et le manifeste d’une ambition folle en littérature, nourrie par un « désir de revanche » qui a permis à l’auteur de surmonter les difficiles premières années d’exil. Virginia Bart

GALLIMARD

Manuel d’exil. Comment réussir son exil en trente-cinq leçons, de Velibor Colic, Gallimard, 208 p., 17 €.