Hiroshima, quelques jours après le largage d’une bombe atomique sur cette ville par l’armée américaine, le 6 août 1945. | - / AFP

Par Tadateru Konoé, président de la Fédération international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, et Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge.

La visite historique de Barack Obama à Hiroshima le 27 mai doit donner un nouvel élan aux efforts visant à débarrasser le monde des armes nucléaires. Les risques posés par ces armes ne cessent de croître dans le climat politique international actuel, de plus en plus tendu. Il est urgent que les États prennent des mesures qui permettront de sauvegarder l’avenir.

Nous connaissons maintenant mieux que jamais les dangers que représente l’explosion – accidentelle ou intentionnelle – d’une arme nucléaire. Nous savons aussi qu’il ne peut y avoir aucune réponse humanitaire appropriée à un tel scénario apocalyptique.

Depuis 1945, selon des témoignages d’experts et d’anciens officiers des forces nucléaires, divers dysfonctionnements, accidents, fausses alarmes ou malentendus ont failli aboutir à l’explosion (intentionnelle ou non) d’armes nucléaires. Ne serait-ce qu’au cours de ces deux dernières années, l’organisation Global Zero a documenté des dizaines d’« incidents militaires » impliquant des États nucléaires et leurs alliés ; la montée des risques liés aux cyberattaques a aussi été relevée.

Si l’on ajoute à tout cela le résultat des récentes études montrant les effroyables conséquences sanitaires à long terme des explosions atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, ainsi que le terrible coût humain à attendre de tout éventuel emploi futur d’une arme nucléaire, c’est un tableau vraiment alarmant qui se dessine.

Nous étions l’an dernier à Hiroshima et à Nagasaki. Nous avons pu nous entretenir avec des survivants, les « hibakusha ». Plus de 70 ans ont passé, mais l’ombre de ces deux événements (qui ont marqué un tournant décisif dans l’histoire de la guerre moderne) continue de planer sur la vie des rescapés comme sur la vie d’innombrables personnes au Japon.

Les personnels de la Croix-Rouge ont dû affronter des conditions inimaginables pour soulager les souffrances causées par les explosions atomiques. Hôpitaux réduits en ruines et en cendres, fournitures médicales contaminées : alors, dispenser des soins de santé, même élémentaires, relevait pratiquement de l’impossible.

Le cauchemar est loin d’être terminé

Les médecins des hôpitaux de la Société de la Croix-Rouge du Japon à Hiroshima et Nagasaki signalent que, dans près de deux tiers des cas, le décès d’un hibakusha âgé est dû à un cancer probablement lié aux rayonnements ; de plus, au-delà des symptômes physiques, les patients ont conservé les traces du traumatisme psychologique subi.

Aucun visiteur du Mémorial de la Paix à Hiroshima, ni aucun témoin des souffrances que continuent d’endurer des milliers de survivants âgés, ne peut avoir le moindre doute quant aux effets catastrophiques et irréversibles des armes nucléaires. Comment, dès lors, pourraient-ils défendre en toute bonne conscience l’idée que l’arme nucléaire joue en quelque sorte un rôle de garant de la sécurité mondiale ou de protecteur de l’humanité ?

Bien sûr, les arsenaux des États nucléaires recèlent aujourd’hui des bombes bien plus puissantes et destructrices que celles qui ont été lâchées sur Hiroshima et Nagasaki. Les récents travaux de recherche ne font que renforcer les arguments avancés contre les armes nucléaires ; des études montrent que si ces armes étaient employées aujourd’hui, même à une échelle restreinte, elles auraient – sur la santé humaine, l’environnement, le climat, la production alimentaire et le développement socio-économique – un impact catastrophique et durable.

Les problèmes de santé se perpétueraient pendant des générations, les enfants de survivants étant exposés à des risques significatifs dus aux altérations génétiques transmises par leurs parents.

Soixante-dix ans après l’avènement de l’« ère atomique », il semble n’exister aucun moyen efficace ou réalisable de secourir immédiatement après une explosion nucléaire une partie importante de la population rescapée.

S’éloigner du gouffre

Et ne nous méprenons pas ! Il serait naïf d’attendre d’une future bombe qu’elle respecte les frontières nationales. La dévastation nucléaire toucherait probablement des populations vivant bien au-delà du pays ciblé. Voilà pourquoi les risques que posent les armes nucléaires – et leur existence même – constituent une préoccupation à l’échelle mondiale.

Devant de tels constats, nous pourrions nous attendre à ce que la communauté internationale fasse un pas en arrière et cherche à s’éloigner du gouffre de la tragédie potentielle en adoptant des mesures visant à éliminer ces armes.

Malheureusement, la Conférence d’examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires qui s’est tenue l’an dernier a échoué : les États n’ont pas saisi l’occasion qui leur était offerte de faire progresser le désarmement.

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a lancé un appel aux États, leur demandant d’ouvrir des négociations en vue de la conclusion d’un accord international qui interdirait l’emploi d’armes nucléaires, et de fixer un calendrier exécutoire pour l’élimination complète de ces armes. Nous réitérons cet appel aujourd’hui. Il est urgent de trouver la volonté politique qui permettra de libérer le monde de la menace nucléaire.

Prolifération des armes nucléaires

En attendant que la dernière de ces armes ait été éliminée, des mesures essentielles peuvent – et doivent – être prises dès maintenant par les États nucléaires, afin de diminuer le risque de voir se reproduire des tragédies comme celles d’Hiroshima et Nagasaki.

Il est impératif que ces États et leurs alliés atténuent le rôle attribué aux armes nucléaires dans leurs plans, doctrines et politiques militaires, et qu’ils réduisent le nombre d’ogives nucléaires maintenues en état d’alerte avancée. La modernisation en cours des arsenaux nucléaires et la prolifération de ces armes nous entraînent vers une catastrophe potentielle.

Le sort tragique d’Hiroshima et Nagasaki et l’ampleur des souffrances humaines endurées sont riches d’enseignements puissants. Assurément, la visite historique du Président Obama viendra nous rappeler avec force les terribles destructions causées par les armes nucléaires.

L’évocation du passé doit nous pousser à agir

Afin de rendre véritablement hommage à toutes les victimes dont la vie a été emportée ou définitivement altérée, la visite du Président Obama doit galvaniser la communauté internationale et l’inciter à s’engager sans délai sur la voie du désarmement nucléaire.

Certes, ces armes n’ont pas été utilisées au cours des 70 dernières années. Cela suffit-il à garantir un avenir exempt de risques pour nos enfants ? Seules l’interdiction et l’élimination des armes nucléaires peuvent donner ce gage.