Candidats au bac 2016 devant le Lycée Charlemagne, Paris, le 15 juin. | FRANCOIS GUILLOT / AFP

Le baccalauréat, créé aux prémices du XXe siècle, est un très vieux monsieur. Mais comment a-t-il évolué depuis deux cents ans ? Réponses avec l’historien de l’éducation Claude Lelièvre, qui a répondu lors d’un chat aux questions des internautes du Monde.fr.

« Mon père m’a toujours dit que le bac reflète une vision napoléonienne de l’éducation : former des citoyens soldats, disciplinés et formés à un large éventail de domaines. Qu’en pensez-vous ? » - Clo

Claude Lelièvre. Effectivement, c’est Napoléon qui a créé le baccalauréat : une interrogation orale portant sur la rhétorique et d’autres matières de lettres classiques. Il disait : « Avant tout, mettons la jeunesse au régime des saines et fortes lectures : Corneille, Bossuet, voilà les maîtres qu’il lui faut. Cela est grand, sublime et en même temps régulier, paisible, subordonné. Il faut des conseillers d’Etat, des préfets, des officiers, des professeurs. » Donc le père de cet internaute n’a pas tout à fait tort. Même si ce n’est pas de citoyens soldats qu’il s’agissait, mais des cadres de son empire.

« Depuis l’instauration du bac, quelles ont été les grandes évolutions qualitatives de celui-ci » - Lecourt

Claude Lelièvre. Au départ, il s’agissait essentiellement d’un diplôme pour les cadres administratifs et militaires de l’empire. Ensuite, de façon plus générale, comme l’a indiqué un sociologue du début du XXe siècle, le bac est devenu un « brevet de bourgeoisie ».

Il faut dire qu’à l’époque le baccalauréat était une épreuve de type général (pas technologique ou professionnel). Jusqu’à la fin du XIXe siècle, il concerne moins de 1 % d’une classe d’âge. En 1960, il concerne 10 % d’une génération. Puis, brusque accélération à l’époque gaullienne : on passe à 20 % d’une classe d’âge. C’est la première période de massification. La seconde se situera entre 1986 et 1995 : on passe de 23 à 37 % d’une classe d’âge. Ensuite, c’est la stabilisation : on en est à 39 % en 2015.

En 1970 ont été créés les bacs technologiques et, en 1985, les bacs professionnels. Pour la période récente, on doit remarquer qu’en 1995, il y avait 55 % d’une classe d’âge qui avait un bac général ou technologique. On garde la même proportion en 2015.

En revanche, le taux de réussite au bac général ou technologique était de 75 % en 1995 et de 90 % en 2015.

« La valeur du bac a-t-elle changé avec le temps ? » - Laure

Claude Lelièvre. Pour ce qui est de la valeur des baccalauréats généraux et technologiques, il n’y aucune raison qu’elle diminue. En revanche, le problème est nettement plus compliqué en ce qui concerne le bac professionnel. En effet, en 1995, il n’y avait que 7 % d’une classe d’âge qui obtenait un bac professionnel. En 2015, 22 % de la classe d’âge a obtenu un bac pro. Ici, il n’y a pas stabilité d’obtention, mais un triplement. Donc on peut s’interroger.

Néanmoins, ce qu’on doit constater, c’est que les bacs professionnels permettent mieux d’accéder à un emploi directement (ils sont faits pour cela) que les bacs généraux, qui préparent eux à des études plus longues. D’autre part, il y a quinze ans, seulement 17 % des lauréats du bac professionnel tentaient de continuer leurs études. Ils sont 34 % en 2015, avec des succès divers : très limités à l’université en licence (3 ou 4 % de réussite) mais convenables quand ils se dirigent vers un BTS (deux tiers de succès).

« Le passage entre ce qui est attendu pour le bac et les modes de travail requis à l’université semble un fossé tel que nombre de bacheliers échouent sur L1 et L2. Depuis quand constatez-vous un tel échec et quelles causes lui attribueriez vous ? » - Lecourt

Claude Lelièvre. A la fin des années 1950 et au début des années 1960, on a créé une classe intermédiaire entre le baccalauréat et la licence que l’on a appelée « propédeutique », une sorte de sas en un an, parce que la moitié de ceux qui obtenaient un bac littéraire échouait en licence. En 1965, cette propédeutique a été allongée d’un an, pour donner le DEUG, suivi d’une seule année de licence. C’était une époque où il n’y avait que 10 % d’une classe d’âge qui obtenait le bac. Les raisons du hiatus que vous évoquez sont donc peut-être à chercher des deux côtés, car, comme cet exemple le montre, c’est un phénomène récurrent.

« N’est-ce pas paradoxal de parler du bac” alors qu’il y a, au bas mot, des dizaines de bacs différents ? (bac S, bac pro vente,…) » - Kerri

Claude Lelièvre. Excellente question : le « bac » n’existe plus depuis longtemps, sinon comme réalité juridique. A savoir qu’avec n’importe quel baccalauréat, il est juridiquement possible d’emprunter n’importe quelle voie de l’université. Mais, en réalité, nous avons en effet au moins trois grands types de bacs : les généraux, les professionnels et les technologiques, qui ont été conçus pour des parcours différents.

En principe, les filières longues de l’université pour les généraux, les STS et/ou IUT pour les technologiques, et normalement la vie active pour les professionnels. Ils n’ont pas été conçus à l’origine pour les mêmes parcours, les mêmes objectifs. Ils ne forment pas aux mêmes capacités.

Quand j’entends parler du bac me revient une citation de Nietzsche : « Les dieux sont morts de rire en entendant l’un d’entre eux dire qu’il était le seul. » Je ris aussi en entendant parler du « monothéisme » du bac.

« Avec le temps, l’impression que le bac est bradé s’accroît. La baisse du niveau d’exigence lié à cet examen est-elle un fantasme ou une (triste) réalité ? » - Oz

Claude Lelièvre. Il y a « des » bacs et non pas « un » bac. En ce qui concerne le baccalauréat général, qui existe depuis le début, il faut se rappeler qu’à l’origine il a été conçu comme le premier examen de l’université. Tous les membres du jury étaient d’ailleurs des universitaires. Leur problème était alors de savoir qui pouvait entrer dans « leur » université. Au fil du temps, de moins en moins d’universitaires se sont retrouvés dans les jurys. Jusqu’à aujourd’hui où seulement le président du jury doit finalement être un universitaire. Mais un jury qui n’évalue pas directement.

Par ailleurs, les formes de passation du bac ont extrêmement évolué dans le temps. A l’origine, ce n’est qu’une interrogation orale de quarante-cinq minutes sur les auteurs étudiés dans les classes de première ou de terminale. L’écrit n’apparaît qu’une trentaine d’années plus tard (1840). Ensuite, au fur et à mesure, il va y avoir une multiplication des disciplines et des épreuves. Elles-mêmes ayant des poids différents et des différenciations selon les bacs.