« Le burn-out n’épargne aucune catégorie professionnelle. Il concerne particulièrement les professionnels du soin (40 % des médecins généralistes libéraux seraient touchés, selon différentes études), les enseignants, les agriculteurs, les managers… »

Mardi soir 14 juin, se jouait à Paris la pièce L’histoire de Nelly : voyage au pays du burn-out au Ciné XIII Théâtre, niché sur la butte Montmartre, comme pour prendre de la hauteur sur ce sujet grave et complexe.

Cette pièce écrite et mise en scène par Norbert Mouyal s’inspire du livre témoignage d’Aude Selly Quand le travail vous tue. Histoire d’un burn-out et de sa guérison (Maxima, 2013).

Elle est interprétée avec talent par deux comédiennes (Myriam Allais et Aurore Clarsen) qui jouent toutes les deux le même personnage de Nelly comme si la jeune femme se dédoublait, se parlait à elle-même, pour tenter de comprendre comment elle a pu en arriver à se perdre et à se désintégrer. « Avec cette pièce, j’ai voulu mettre des mots pour rendre visibles des choses trop souvent invisibles », explique Norbert Mouyal.

Durant une heure, les spectateurs sont emmenés dans les méandres et la complexité du burn-out professionnel. Les comédiennes, à travers des monologues ou dialogues imaginaires, retracent le parcours de Nelly. Jeune femme ambitieuse et animée d’un profond désir de bien faire, Nelly décroche avec fierté un poste de responsable de ressources humaines au sein d’une enseigne prestigieuse de sport.

Pleinement investie dans les (multiples) missions qui lui ont été confiées, toujours présente pour répondre aux sollicitations diverses des salariés dont elle assure le suivi, Nelly se retrouve écrasée par sa charge de travail, souffre d’un stress intense et, petit à petit, perd pied.

Les comédiennes évoquent les kilos en trop qui s’envolent, les douleurs cervicales, les maux d’estomac, les insomnies, les troubles de la mémoire, le corps qui envoie de multiples signaux d’alerte… et puis un jour, l’incapacité physique d’aller au bureau et la tentation du suicide pour enfin se reposer.

Comment se reconstruire ?

Nelly ressent le besoin vital de rembobiner le fil des événements pour comprendre l’enchaînement qui l’a conduit au burn-out. Qui est responsable de cette explosion en pleine ascension professionnelle ? Nelly montre que les responsabilités sont multiples et entremêlées : elle-même et sa difficulté à dire non, à déconnecter, à prendre au sérieux les arrêts maladie de son médecin de famille, mais aussi ses managers, distants géographiquement et qui n’ont pas su ou pas voulu entendre ses appels à l’aide, mais aussi le système, l’organisation de l’entreprise dans son ensemble.

Mais après la déflagration, violente, comment se reconstruire ? Par la connaissance de soi, de ses limites et par la capacité à savoir dire stop. A l’issue de la représentation, un débat est lancé avec le public composé de DRH, de managers, de dirigeants, de coachs, etc.

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Benoît Hamon, ancien ministre de François Hollande, présent dans la salle, joue son rôle en rappelant son combat en faveur de la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. « La France est encore trop dans le déni par rapport à ce phénomène. 3,2 millions d’actifs sont exposés à un risque élevé d’épuisement professionnel », insiste-t-il. Le burn-out n’épargne aucune catégorie professionnelle. Il concerne particulièrement les professionnels du soin (40 % des médecins généralistes libéraux seraient touchés, selon différentes études), les enseignants, les agriculteurs, les managers… Benoît Hamon en a profité pour rappeler l’importance du droit à la déconnexion par rapport aux outils technologiques qui peuvent constituer « une vraie laisse électronique ».

Les interventions sont nombreuses. Des femmes racontent avoir revécu leur burn-out à travers les propos de Nelly. Des managers se disent conscients de devoir protéger leurs équipes mais subissent eux-mêmes une forte pression et se sentent parfois bien isolés. Des chefs d’entreprise rappellent qu’eux aussi sont malheureusement affectés. Enfin, des coachs témoignent être de plus en plus sollicités pour suivre des personnes en situation de risque d’épuisement professionnel…

Davantage de bienveillance

Aude Selly, aujourd’hui reconvertie consultante en risques psychosociaux et auteure d’un deuxième ouvrage sur sa reconstruction (Burn-out, et après ?, Maxima, 2015), invite les entreprises à se saisir du sujet. « Souvent elles me demandent combien cela va leur coûter, mais elles devraient plutôt regarder ce qu’elles risquent si elles ne font rien. Je leur rappelle que bien-être des salariés et performance sont intimement liés ».

Les commentaires fusent : « Il y a un problème systémique dans les grandes entreprises, au-delà des trajectoires individuelles ». « La culture managériale est restée bloquée dans les années 1970 ». « Il est urgent de réhumaniser l’entreprise ». « La gouvernance doit s’emparer du sujet et avoir le courage de mettre le sujet sur la table ». « Il est temps de rendre aux salariés leur utilité, le sens de leur valeur ajoutée ».

Les participants invitent les organisations à évoluer vers davantage de bienveillance, d’intelligence collective, en prenant en compte le quotient émotionnel mais aussi des méthodes innovantes pour prendre soin du corps. Enfin, la capacité de leadership du DRH à porter ce sujet et à le rendre stratégique auprès de sa direction est soulignée.

Tous reconnaissent que le théâtre peut être un vecteur intéressant pour lever le tabou du burn-out, encore très fort. Cyrille Simminger, directeur de l’Opcalia Rhône-Alpes, a déjà organisé plusieurs lectures de la pièce pour l’ensemble de ses collaborateurs et pour des entreprises partenaires. « Je suis convaincu que l’outil théâtral est puissant pour la sensibilisation et la prévention des risques psychosociaux. A la fin de la lecture, tous mes collaborateurs sont restés comme pétrifiés, avant de se lancer dans un débat passionnant », témoigne-t-il.