Venise et sa lagune, les îles Galapagos et leur inestimable biodiversité, le parc national Yellowstone et la statue de la Liberté aux Etats-Unis ou la forêt impénétrable de Bwindi, habitat naturel des gorilles en Ouganda : tous ces sites du patrimoine mondial de l’Unesco sont vulnérables, menacés par le changement climatique. C’est ce que montre un rapport élaboré conjointement par l’Unesco, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’ONG Union of Concerned Scientists (UCS).

Pour évoquer l’ampleur globale du changement climatique, ce document, publié jeudi 26 mai, répertorie trente et un sites, éparpillés sur tous les continents et présentant un large éventail des maux liés de près ou de loin à ce réchauffement planétaire. « C’est la première fois que nous regroupons dans un même texte des informations sur des événements passés, explique Adam Markham, un des auteurs du rapport et directeur adjoint climat et énergie à l’UCS. Auparavant, on évoquait surtout les effets potentiels du changement climatique sur les sites du patrimoine mondial. Aujourd’hui, la plupart des choses que nous présentons sont déjà arrivées : ce sont autant de preuves que le changement climatique a déjà causé des effets. »

31 sites répertoriés, une liste non exhaustive

Si trente et une études de cas sont présentées dans ce document, de nombreux autres sites parmi les 1 031 de la liste du patrimoine mondial sont concernés. « La liste des trente et un est loin d’être exhaustive, développe M. Markham. De nombreux autres sites auraient pu être choisis, comme les Everglades ou le parc national de Glacier aux Etats-Unis. Nous avons fait des choix pour présenter des lieux tant naturels que culturels, et affichant des menaces climatiques de tous types. »

Hausse des températures de l’atmosphère et des océans, vents et pluies extrêmes, inondations, montée des eaux, les risques pour le patrimoine mondial sont multiples. Au Mali, la grande mosquée de Djenné est particulièrement sensible à la hausse des températures et de l’humidité. La romantique Venise et sa lagune sont menacées par la montée des eaux de la mer Adriatique. La vieille ville côtière de Hoi An au Vietnam, déjà sujette aux inondations pendant la saison des pluies, est menacée par des tempêtes plus fréquentes, une érosion côtière et, là aussi, une montée des eaux.

A côté de certains sites connus pour être fragiles, comme la cité des Doges, figurent des sites encore peu évoqués. C’est le cas de l’île de Pâques, perdue à plus de 3 500 km du littoral chilien. Ici, les statues Moaï, érigées entre 1 250 et 1 500, tournent le dos à l’océan Pacifique-Sud. « Beaucoup de ces statues sont situées directement sur la côte, précise M. Markham. Or, pour certains sites archéologiques, de graves problèmes d’érosion côtière ont d’ores et déjà été observés. Pas forcément pour les plus belles statues, celles des cartes postales, mais pour de nombreuses autres plus petites. »

Le lagon de Nouvelle-Calédonie menacé

Un exemple français figure dans la liste : les lagons de Nouvelle-Calédonie. Ces paysages paradisiaques du Pacifique renferment une des plus grandes diversités d’espèces de coraux au monde. Selon le rapport, « les impacts climatiques, y compris l’augmentation de la température de l’eau et de l’acidification des océans sont maintenant les plus grandes menaces pour les récifs coralliens à travers le monde ».

Claude Payri, océanographe à Nouméa et directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement, nuance le rapport en mettant l’accent sur la multitude de menaces pour l’environnement calédonien :

« Le texte du rapport donne l’impression que les changements climatiques ont un impact beaucoup plus important que les menaces locales, ce qui n’est pas exact. Les impacts climatiques s’ajoutent aux menaces locales qui pèsent déjà sur les récifs. Les activités humaines en général, dont l’exploitation minière du nickel, altèrent la santé de ces écosystèmes. Les eaux usées domestiques et industrielles, rejetées sans traitement adéquat, sont de vraies menaces pour les coraux, particulièrement sensibles à la qualité des eaux. »

Ce que l’on observe en Nouvelle-Calédonie se retrouve ailleurs : de nombreuses menaces, anthropiques et naturelles, s’accumulent et mettent en danger les biens du Patrimoine mondial. Le 6 avril dernier, WWF poussait déjà un cri d’alarme, démontrant que 114 des 229 sites Unesco classés « naturels » ou « culturels-naturels » étaient menacés par des activités industrielles.

Prise de conscience

En choisissant des sites mondialement connus, les auteurs du rapport veulent une nouvelle prise de conscience des populations et des gouvernements. « La menace qui plane sur les sites du Patrimoine mondial est imminente, il n’y a plus de temps à perdre, résume Adam Markham. Il faut poursuivre les efforts entamés à Paris pour la COP 21, aller plus loin, diminuer les émissions de gaz à effet de serre et élaborer une stratégie globale de protection des sites du Patrimoine. »

D’autres recommandations destinées aux décideurs politiques sont dressées dans le rapport. Une alerte qui intervient peu avant le 40e comité du Patrimoine mondial, qui se réunit à Istanbul du 10 au 20 juillet prochain. Chaque année, lors de ce comité, l’Unesco étudie l’état des biens inscrits, demande aux Etats de prendre des mesures pour leur bonne conservation, et décide, le cas échéant, de l’ajout ou du retrait de sites. En 2009, la vallée de l’Elbe à Dresde (Allemagne) est le dernier site à avoir été retiré de la liste. En cause, la construction d’un pont à quatre voies au cœur de ce paysage culturel.