La respectabilité est une notion relative, qui résiste difficilement aux réalités géopolitiques. En 2005, Narendra Modi, alors ministre en chef de l’Etat du Gujarat, à l’ouest de l’Inde, s’était vu refuser un visa d’entrée sur le sol américain. Le leader nationaliste et anti-musulman avait fermé les yeux sur un massacre anti-religieux dans son Etat. Onze ans plus tard, devenu premier ministre du pays le plus peuplé au monde après la Chine, il est reçu avec les honneurs. Long entretien avec le président américain, Barack Obama, et discours de quarante-sept minutes devant le Congrès des Etats-Unis.

Pour les deux pays, l’enjeu est à la fois géopolitique et économique. Première concrétisation symbolique, un accord sur le nucléaire civil. Le fabricant américain de centrales Westinghouse, propriété du japonais Toshiba, va construire six réacteurs dans l’Etat d’Andhra Pradesh au sud-est du pays. Les études d’ingénierie vont commencer et le contrat final devrait être signé avant juin 2017. Il s’agit du premier accord de ce type conclu depuis que les deux pays se sont entendus sur le nucléaire civil en 2008.

Des projets toujours repoussés

Voilà une nouvelle qui devrait faire dresser les oreilles des industriels concurrents, au premier rang desquels EDF et Areva. Au début de cette année, l’Inde a demandé à l’électricien français de lui fournir, pour fin 2016, « une proposition technico-économique complète sur un site qu’elle [leur] a désigné pour la construction de six EPR ». Le russe Rosatom exploite déjà des centrales dans le Sud. Pointée du doigt comme le mauvais élève de la classe écologique mondiale pour ses émissions de CO2, l’Inde est engagée dans un plan de développement du nucléaire civil de grande ampleur. Un programme qui allèche tous les acteurs mondiaux de la filière nucléaire, mais qui démontre aussi l’extrême difficulté à concrétiser des projets dans une industrie aussi sensible et dans des pays aussi compliqués.

Après dix ans d’efforts, les Occidentaux ont levé les interdictions d’exporter le nucléaire civil, en 2008 aux Etats-Unis, en 2012 en France, des accords validés par les représentations nationales. Puis la question des sites s’est posée. Celui proposé initialement à Westinghouse dans l’Etat du Gujarat a été abandonné après une révolte des producteurs de fruits locaux. Sont ensuite intervenues les initiatives politiques au plus haut niveau. Visite de François Hollande en Inde en 2013, de Barack Obama en 2015, puis de Narendra Modi en France en 2015, et en ce moment aux Etats-Unis. Et rien n’est encore définitivement engagé.

Une diplomatie de longue haleine pour des projets qui semblent toujours repoussés. Les Français, pénalisés par leurs soucis techniques et financiers en Finlande, en Grande-Bretagne et même en France, ne sont pas dans la meilleure posture pour gagner cette course de fond aux allures de mirage.